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autre effet du sens propre, qu’on s’y attache davantage dans le moment même qu’on en voit l’excès. Il se mêle d’ailleurs aux aveux de Fénelon sur sa dureté cette constante préoccupation de plaire dont parle Saint-Simon. Dans cette peinture de lui-même, dont on a vu plus haut quelques traits : « Je me sens, dit-il, un attachement foncier à moi-même. » Voilà la confession naïve du sens propre. Les excuses au duc de Bourgogne et à la duchesse de Chevreuse : « J’écris en fou, pardon de ce que j’ai écrit de trop dur, » c’est le même aveu, avec ce mélange du désir de plaire.


VI – DU CHIMERIQUE DANS LES DOCTRINES LITTERAIRES DE FENELON

La chimère d’une perfection impossible est la seule cause des erreurs littéraires de Fénelon, et, en particulier, de ses étranges théories sur la langue et la poésie françaises.

Notre langue ne lui parait pas assez riche. C’est trop peu de regretter la désuétude de quelques mots expressifs des siècles précédens ; il demande l’introduction de mots nouveaux. Il vante à cet égard la liberté dont jouissent les Anglais, chez lesquels chacun est maître souverain de la langue de tous. Il est vrai que ces mots nouveaux ne doivent avoir pour objet que de rendre notre langue plus claire, plus précise, plus courte, plus harmonieuse, qu’il faudra faire choix d’un son doux et éloigné de tout équivoque ; mais qui sera chargé de faire ce choix ? Qui Fénelon accrédite-t-il pour fabriquer des mots de ce titre ? L’Académie française. Ses membres hasarderont ces mots dans la conversation ; on les essaiera, sauf à les laisser, s’ils déplaisent. C’est ce puéril travail de découvertes sans audace et de créations à froid que Fénelon propose à l’Académie ! Richelieu l’entendait bien mieux, à mon avis, lui qui fondait ce grand corps pour discipliner la langue et la fixer ! Et Bossuet, lui qui voulait que l’Académie française défendît cette langue contre la mobilité des caprices populaires ! Ces deux grands esprits avaient senti qu’en matière de langage la liberté se fait elle-même sa part, et plutôt trop grande que trop petite ; que tout favorise le changement et l’innovation, notre mobilité, nos modes, la faiblesse humaine qui ne sait pas se fixer, même à ce qu’elle préfère, la vanité qui engendre tant d’inventeurs, l’ignorance qui pense créer ce qui a été fait. Fénelon ne trouve pas ces tendances assez fortes. Il se met du côté de la liberté, comme si elle avait besoin d’aide, contre la discipline, qui ne parvient pas à se maintenir, même