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la conservation des conquêtes du roi ;… et l’on ne manque pas d’attribuer ce scrupule aux instructions que je vous ai données. » L’opinion publique lui en renvoyait le reproche ; était-elle si injuste ? Sans doute, les instructions n’étaient pas directes ; mais Fénelon pouvait-il se flatter de tenir si secrets les écrits où il qualifiait d’iniques toutes les conquêtes du roi, que le duc de Bourgogne n’en connût rien ? Avait-il du moins si bien caché ce fonds où il désirait pour la France une défaite sans ressource, que son élève n’en eût rien vu ? A défaut d’allusions personnelles à Louis XIV, et d’attaques directes, dont Fénelon était incapable, les seules maximes générales du Télémaque, et tant de traits qui atteignaient Louis XIV à travers Idoménée, n’auraient-ils pas suffi pour donner au jeune prince ces scrupules sur la gloire de son aïeul, et cette prévention contre ses conquêtes dont s’alarmait Fénelon ?

Ce n’est pas forcer la vérité que d’imputer à l’esprit qui dressait, dans l’Examen, un acte d’accusation si minutieux contre les consciences royales, les scrupules et les noirceurs de l’incertitude dont s’accuse le duc de Bourgogne. « Sa vigilance sur lui-même, dit Saint-Simon, le renfermait dans son cabinet, comme un asile impénétrable aux occasions. » Fénelon lui avait inspiré une terreur si outrée des flatteurs, que, pour échapper à leurs piéges, il ne trouvait d’autre moyen que de vivre seul. « La crainte d’être cause pour autrui d’un oubli de la charité, ajoute Saint-Simon, et de provoquer à la médisance, l’empêchait d’interroger personne sur les autres, et de tourner à la connaissance des hommes cette lampe dont il se servait si soigneusement pour éclairer tous les replis de son cœur et de sa conscience. Avec cette austérité, il avait conservé de son éducation une précision et un littéral qui se répandaient sur tout, et qui gênaient lui et tout le monde avec lui, parmi lequel il était toujours comme un homme en peine et pressé de le quitter. Il ressemblait fort à ces jeunes séminaristes qui se dédommagent de l’enchaînement de leurs exercices par tout le bruit et toutes les puérilités qu’ils peuvent. » Saint-Simon se scandalise à ce sujet de la conduite des dames de son particulier, lesquelles, dit-il, « abusaient avec indécence de sa bonté, de ses distractions, de sa dévotion, et de ses gaietés peu décentes qui sentaient si fort le séminaire. »

Fénelon savait toutes ces circonstances ; la plupart même ne nous sont connues que par les plaintes qu’il en fait, soit au prince, soit à ses amis. Il jugeait mieux qu’aucun autre de ce qui manquait au duc de Bourgogne, et il est remarquable qu’il ne le gourmande que des