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ni traitant ; — mais je crains pour mon bonheur. — Nos grands seigneurs blasés ne me pardonneraient pas d’être heureuse.

SAINT-ALBIN.

Est-ce qu’ils vous entourent toujours de leurs obsessions ?

CÉLINDE.

Toujours. — Mais j’ai pris mon parti. — J’abandonne pour vous la gloire, les planches, la fortune. Je quitte le théâtre.

SAINT-ALBIN.

Vous renoncez à l’Opéra !

CÉLINDE.

Cela m’ennuie de vivre dans les nuages et dans les gloires mythologiques. J’abdique ; de déesse, je redeviens femme. — Je ne serai plus belle que pour vous, monsieur.

SAINT-ALBIN.

Comment reconnaître une pareille marque d’amour ?

CÉLINDE.

Les répétitions ne viendront plus déranger nos rendez-vous. Nous aurons tout le temps de nous aimer.

SAINT-ALBIN.

Oui, ma toute belle… Vingt-quatre heures par jour, ce n’est pas trop.

CÉLINDE.

Nous vivrons à la campagne, tout seuls, dans une petite maison avec des contrevents verts, sur le penchant d’un coteau exposé au soleil levant ; nous réaliserons l’idéal de Jean-Jacques. Nous aurons deux belles vaches suisses truitées que je trairai moi-même. — Nous appellerons notre servante Ketly, et nous cultiverons la vertu au sein de la belle nature.

SAINT-ALBIN.

Ce sera charmant. Vous m’avez compris ; la vie pastorale fut toujours mon rêve.

CÉLINDE.

Le dimanche, nous irons danser sous la coudrette avec les bons villageois. J’aurai un déshabillé blanc, des souliers plats et un simple ruban glacé dans mes cheveux.

SAINT-ALBIN.

Pourvu que vous n’alliez pas vous oublier au milieu de la contredanse et faire quelque pirouette ou quelque gargouillade.

CÉLINDE.

N’ayez pas peur. J’aurai bien vite désappris ces graces factices, ces pas étudiés. J’étais née pour être bergère.

SAINT-ALBIN.