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LE CHEVALIER.

Vous manquez à tout Paris.

LE COMMANDEUR.

L’univers est fort embarrassé de sa personne et ne sait que devenir.

LE DUC.

Si vous saviez comme Vaudoré devient stupide, depuis qu’il ne vous voit plus !

CÉLINDE.

Vous voulez absolument que je quitte la place. Cette obstination est étrange ; vouloir visiter les gens en dépit d’eux !

LE COMMANDEUR.

Méchante ! est-ce que l’on peut vivre sans vous ?

CÉLINDE.

Je vous assure que je n’ai pas la moindre envie de vous voir, et que je ne forcerai jamais votre porte. — Retirez-vous, de grace : c’est le seul plaisir que vous puissiez me faire.

M. DE VAUDORÉ, à part.

Oh ! le petit démon ! — Décidément je ne lui parlerai pas de ma flamme, et je garderai pour une occasion meilleure ce petit quatrain galant écrit au dos d’une traite de cinquante mille écus que j’avais apportée tout exprès dans ma poche. — Je crois, en vérité, que la Rosimène est encore d’humeur moins revêche. Il me prend je ne sais quelles envies d’y retourner.

LE CHEVALIER.

Cela n’est pas aimable. — Nous traiter ainsi, nous, vos meilleurs amis !

CÉLINDE.

Vous n’êtes pas mes amis, — je l’espère, — quoique vous remplissiez ma maison. Mes jours couleront désormais dans la retraite. Je ne veux plus voir personne.

LE DUC.

Personne, à la bonne heure ; mais moi, je suis quelqu’un.

CÉLINDE.

Laissez-moi vivre à ma guise. — Oubliez-moi, cela ne vous sera pas difficile. Assez d’autres me remplaceront : vous avez Daphné, Laurina, Lindamire, — tout l’Opéra, toute la Comédie. — On vous recevra à bras ouverts, — Je vous ai assez amusés ; j’ai assez chanté, assez dansé à vos fêtes et à vos soupers ; que me voulez-vous ? Vous avez eu ma gaieté, mon sourire, ma beauté, mon talent. — Que ne puis-je vous les reprendre ! — Vous avez cru payer tout cela avec quelques poignées d’or. Ennuyez-vous tant qu’il vous plaira, que m’importe ? D’ailleurs, je ne vous amuserais guère, mon caractère a changé totalement. J’ai senti le vide de cette frivolité brillante. — Pour avoir