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point sur lequel on doit se montrer moins facile : c’est l’oubli où le document distribué aux chambres laisse l’influence de la marine marchande sur les destinées de notre marine militaire. Cette sorte de prétérition a un double tort, celui de ressembler à de l’ingratitude, et celui plus grave encore de ne pas fournir un élément précieux au problème de notre réorganisation navale.

La marine marchande n’est pas un accessoire pour la marine de l’état, c’est pour elle un élément principal et la source même de sa vie. En tout pays, en tout temps, la force navale a eu pour mesure l’activité commerciale, et la prépondérance sur les mers a été constamment l’apanage des peuples les plus marchands. C’est donc un devoir, quand on s’occupe de la marine militaire, et un devoir étroit, que de suivre avec sollicitude les fluctuations des intérêts commerciaux et de la navigation marchande. Notre infériorité navale vient de là, seulement de là, et vainement cherchera-t-on à pallier les effets, si l’on ne détruit pas la cause.

On l’a vu, rien n’est plus affligeant que l’état de langueur dans lequel se débattent nos armemens et notre marine de commerce. Chaque année, la part du pavillon étranger s’accroît dans l’ensemble du mouvement de nos ports, tandis que la part de notre pavillon diminue. Là où le pavillon étranger figure, en 1844, pour 1,357,789 tonneaux, le nôtre ne figure que pour 679,066. Ainsi nous perdons constamment du terrain, et, pour peu que les choses suivent cette pente, nous en serons bientôt réduits à n’avoir plus sur les mers que le petit nombre de bâtimens affectés à notre navigation réservée.

Voici à quoi tiennent cette souffrance et ce marasme. Toutes les industries qui ont leur siège dans le royaume vivent sous le régime de la protection : des tarifs élevés les défendent contre la concurrence étrangère. Si les produits étrangers parviennent à se faire jour au moyen de quelque issue, à l’instant des cris d’alarme se font entendre, et les chambres sont mises en demeure d’y pourvoir. C’est d’un côté l’agriculture qui se plaint, de l’autre c’est la manufacture qui s’impose, et le gouvernement n’a ni la force de combattre ces exigences ni les moyens de résister à ces intérêts coalisés. Les voix industrielles et agricoles forment, dans le parlement, une masse compacte qui est plus puissante que la raison, plus forte que la justice.

Ce régime funeste à la richesse du pays est donc, en France, la charte des industries ; elles ont toutes le droit d’en invoquer le bénéfice. Toutes, non ; il en est une qui seule est mise hors la loi : c’est l’industrie maritime, Pendant que les autres ont un privilège absolu