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« Je l’affirme sans hésiter, notre puissance navale est en péril ; les progrès de la destruction s’étendent avec une telle rapidité, que, si l’on persévérait dans le même système, la marine, après avoir consommé 500 millions de plus, aurait totalement cessé d’être en 1830. C’est dire assez, ou qu’il faut abandonner l’institution pour épargner la dépense, ou augmenter la dépense pour maintenir l’institution. »

Un langage aussi ferme ne fut pas sans influence sur les chambres ; le budget du baron Portal fut voté et prit dès-lors le nom de budget normal de la marine. Voici quelles en étaient les bases. Au lieu de 4.5 millions, allocation dérisoire, le ministre en demandait 65 : 59 millions pour la marine, 6 pour les colonies. Cette augmentation de 20 millions ne devait pas figurer en entier dans l’exercice suivant, mais se répartir d’une manière successive sur une certaine période d’années. L’allocation intégrale n’eut guère lieu qu’en 1830. Moyennant ces 65 millions, maintenus pendant onze années, le ministre promettait d’assurer à la France une force active de 38 vaisseaux, de 50 frégates et d’un nombre proportionné de bâtimens inférieurs.

Tel fut le point de départ de notre réorganisation maritime. C’était beaucoup que d’avoir obtenu des chambres, au milieu des préventions qui pesaient sur l’arme et des embarras financiers dans lesquels se débattait le pays, cette reconnaissance formelle de notre état naval. Il en fut d’ailleurs de ce programme du baron Portal comme de tous les programmes ; les faits ne s’y conformèrent pas. Le chapitre des dépenses imprévues vint s’ajouter à celui des dépenses ordinaires. On fit les expéditions d’Espagne, de Morée et d’Afrique, et le chiffre des bâtimens armés passa de 76, portant 8,750 hommes, qu’il était en 1820, à celui de 158, avec 15,000 hommes, en 1825 ; enfin, en 1826, à celui de 206, avec 20,000 hommes embarqués. De là des allocations toujours croissantes, au point que la moyenne annuelle des dépenses, de 1823 à 1830, s’éleva à 74 millions de francs, avec cette circonstance fâcheuse que les constructions et les approvisionnemens y perdirent en raison directe de l’augmentation des armemens.

Les premières années qui suivirent la révolution de 1830 ne firent qu’aggraver cette situation irrégulière. D’un côté, par la force des choses, les armemens devenaient chaque jour plus nombreux ; de l’autre, par un principe de fausse économie, les crédits étaient mesurés, au sein des chambres, d’une manière plus avare. En vain les ministres qui se succédaient émettaient-ils du haut de la tribune des protestations répétées ; la marche était prise, on la suivait. Ainsi les