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à nous, que nous connaissons !… non, cela n’est point supportable ! Quand de telles idées veulent régner, il est temps alors que le magistrat s’en mêle. Si de plus on met tout en œuvre pour bouleverser les choses, famille contre famille, mari contre femme, parens contre enfans ; si l’on ne répète que ces mots : Révolutionnez, révolutionnez, révolutionnez (overturn, overturn, overturn)’, oh ! alors, je dis que l’ennemi public veille, et que le magistrat doit s’en mêler ! » Telle est en général l’éloquence publique de Cromwell, pleine de sens et de choses. Pour trouver de telles paroles obscures et équivoques, il faut certes avoir grande envie de ne pas comprendre.

Quand ce discours fut achevé, dit un vieux journal, « les membres du parlement firent hum[1] ! et témoignèrent leur contentement et leur satisfaction par des expressions singulières. » Cette satisfaction mutuelle ne dura pas long-temps. À peine assemblé, le parlement se mit à délibérer ardemment, « de huit heures du matin à huit heures du soir, dit Guibon Goddard, et tous les jours, pour savoir s’il avait raison de siéger, » si le gouvernement appartenait à un seul homme ou à plusieurs, et dans quelles proportions ; ce qui ruinait la base même du protectorat et déplaisait assurément à celui que l’on ébranlait ainsi. Huit jours après l’ouverture de cette chambre, « je voulus, dit un membre (ce même Guibon Goddard, qui a laissé des notes intéressantes), me rendre à Westminster, et je trouvai la porte des communes fermée, des sentinelles devant. — On ne passe pas, me dit-on ; si vous êtes membre, vous pouvez vous rendre à la chambre peinte, où le protecteur va se trouver. — J’y allai. Entre neuf et dix heures, il arriva avec son escorte d’officiers, de hallebardes et de gardes-du-corps, s’assit couvert sous le dais, et parla une heure et demie. »

Nous entrons dans une portion nouvelle du travail de Carlyle, la collation et la reproduction exacte des discours publics tenus par Cromwell, travail excellent qui présente le fermier puritain, chef politique de l’Angleterre, sous une face entièrement nouvelle. Ces discours improvisés, que Cromwell n’a jamais corrigés ni revus, avaient été publiés sans ponctuation, sans exactitude, mêlés d’interpolations et de commentaires ridicules, dont les reporters avaient orné l’original, et complètement défigurés. Carlyle a consulté les registres des communes, les pamphlets de l’époque, les notes manuscrites de quelques membres des divers parlemens du protectorat, et les a restitués

  1. Parliamentary history, XX, 318, 33.