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ait été témoin. Vous avez sur les épaules les intérêts de trois grandes nations et de tous les domaines qui dépendent d’elles. Et vraiment, je crois pouvoir le dire sans exagération, vous avez sur les épaules l’intérêt du christianisme sur la face du globe… » Ces paroles servent de début à un discours marqué d’un bout à l’autre du même caractère de sagacité, de simplicité et de force. Il réclame des députés la « conservation de l’Angleterre, » d’une part la « sainteté, » de l’autre la « discipline. » Il blâme du même coup et à la fois le presbytéranisme despotique qui imposerait aux consciences une loi uniforme et violente, et le mysticisme anarchique qui livrerait la société aux utopies des rêveurs. C’est en d’autres mots et sous d’autres formes la situation même des temps modernes, où l’ordre essaie de s’asseoir et de se compléter entre l’effervescence des volontés individuelles et l’abus de l’autorité centrale. « Il y avait, dit Cromwell, trop de sévérité et de dureté dans le vieux système (l’uniformité presbytérienne) ; oui, trop de domination en matière de conscience, un esprit peu chrétien dans tous les temps, et qui ne convient nullement à celui-ci. Quoi ! refuser la liberté de conscience à ceux qui l’ont achetée de leur sang, à ceux qui ont acheté la liberté civile et religieuse des gens même qui voudraient les tyranniser ! » Le despotisme presbytérien et l’intolérance une fois écrasés, Cromwell se retourne vers les puritains extrêmes, les anarchistes bibliques, qu’il traite moins rudement ; la plupart sont ses anciens amis : -« Ceci est une erreur plus subtile et plus raffinée, et qui a déçu beaucoup de gens d’intégrité et de mérite, beaucoup de gens sincères… Ils ont des prétentions spiritualistes très hautes ; ils espèrent le règne du Christ sur la terre. Ce règne n’arrivera que lorsque l’esprit saint aura subjugué, vaincu et effacé toute iniquité terrestre, lorsque l’éternelle et complète justice disposera du monde ; alors nous approcherons de cette gloire, mais non auparavant !… Sous ce prétexte, un homme ou plusieurs hommes ont-ils le droit de dire qu’ils sont les seuls propres à faire des lois et à gouverner les nations ? les seuls qui puissent régler la propriété et la liberté ? Cela est insoutenable ! Qu’ils nous apportent donc d’irréfragables preuves de leur mission et des manifestations claires de la volonté de Dieu ! S’ils gardaient leurs idées en eux-mêmes et leurs théories (notions), on les laisserait tranquilles, elles ne pourraient nuire qu’à ceux dont l’esprit les a conçues. Mais que l’on en vienne à la pratique, et que l’on nous dise que la liberté et la propriété ne s’accordent point avec le règne du Christ, qu’il faut abolir la loi, la subvertir, peut-être la remplacer par la loi judaïque, au lieu de nos lois,