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poètes que tentent les hardiesses de la comédie ancienne. En quoi consistait, je vous prie, cette audace que vous prétendez reproduire ? Qui a donné à Aristophane cette réputation de droiture et de vrai courage ? Aristophane était un citoyen dévoué et l’ennemi résolu de cette démagogie sans frein au service de laquelle vous voulez condamner sa muse. Quand l’auteur des Chevaliers attaque si énergiquement Cléon, quand sa comédie devient comme un combat à mort, quel est son but, sinon de travailler pour sa, part à la rude éducation du peuple ? Je comprends pourquoi il ne ménage ni les leçons directes ni les railleries sans pitié ; je sais le secret de cette plaisanterie implacable : il parle à un peuple mobile, passionné, livré aux démagogues ; il a besoin de frapper fort. Sa hardiesse et son courage, c’est d’avoir bravé la popularité en face. J’indique cette dernière et décisive différence entre la muse d’Aristophane et celle de M. Prutz.

La comédie ancienne, la comédie d’Aristophane introduite en Allemagne ! est-ce bien possible ? est-ce là une tentative sérieuse ? Non, certes. Si la comédie politique renaît un jour, il faut, encore une fois, qu’elle commence par se créer une nouvelle forme, appropriée aux mœurs et à la civilisation modernes. Elle abandonnera au pamphlet les attaques personnelles ; elle n’oubliera pas que, si l’art est la transfiguration de la réalité, cette loi est plus impérieuse encore en ces délicates matières. Elle étudiera les caractères, les passions ; elle cherchera dans le spectacle de la vie publique les élémens dont la poésie profitera ; elle idéalisera sans cesse. On ne verra pas s’agiter sur la scène le masque d’un homme que chacun pourra reconnaître, mais l’humanité même avec ses passions, ses ridicules, ses faiblesses ; l’ambition et la lâcheté, la convoitise et la déception seront mises en jeu dans une fable naturelle et possible, sans qu’il en sorte jamais une allusion injurieuse. Un Molière, dans notre société, ne manquerait pas à cette tâche, et ce n’est pas lui qui prendrait une satire pour une comédie. Celui qui a taillé si hardiment des figures solides dans la confuse et flottante matière de la vie humaine, celui qui, en faisant une peinture si franche de la noblesse et du peuple de son temps, a représenté l’homme de tous les siècles, saurait bien retrouver aujourd’hui les éternelles passions de l’ame, avec le caractère particulier qu’elles empruntent aux conditions d’une société nouvelle. Je crois comprendre que Monsieur de Pourceaugnac, George Dandin et le Bourgeois Gentilhomme ont été au XVIIe siècle d’admirables comédies politiques. Cette seule indication résume assez tout ce que je viens de dire.