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qu’il a traité ses confrères d’Allemagne. Il y a quelques belles scènes dans le troisième acte, et, si elles ne rachètent pas complètement (il s’en faut bien) les crudités de ce qui précède, elles permettent du moins à l’esprit de s’y reposer un peu. Il fait nuit : une femme couverte de haillons, épuisée par le jeûne et les veilles, arrive à pas lents dans la rue déserte. Si vous pouviez la voir dans l’ombre, vous reconnaîtriez, malgré les ravages de la souffrance, la noblesse de son origine écrite sur son visage pâle et fier. Écoutez du moins ses plaintes ; ce sont les premières paroles de la pièce où la poésie apparaisse. La fière mendiante s’adresse à la nuit ; elle l’invoque et la bénit comme une consolatrice, elle lui demande de cacher ses douleurs, et, brisée enfin de fatigue, elle s’endort sur une pierre du chemin. Tout à coup, voici Kilian qui sort de la maison du docteur ; c’est l’heure du rendez-vous que lui a donné Germania. Germania arrive de son côté, cherchant dans l’obscurité la main du rustre amoureux. Chut ! une porte s’ouvre. Qui va là ? C’est Schlaukopf, toujours inquiet du succès de sa ruse, et qui veut aller écouter à la porte de Germania. Un quatrième personnage survient : je reconnais le pas et la voix du docteur ; il s’en va discrètement, à pas de loup, dérober à Germania, pendant son sommeil, quelques-uns des présens qu’elle a reçus des souverains d’Allemagne. Or, comme ils se heurtent tous les quatre dans l’ombre, Schlaukopf effrayé appelle au secours, et deux gendarmes arrivent. L’étrangère, réveillée par ce bruit, reconnaît Schlaukopf son persécuteur et l’aventurière effrontée qui lui a dérobé sa couronne. C’est elle qui est Germania, la vraie Germania, l’Allemagne enfin, méconnue, outragée par Schlaukopf, chassée de son trône et remplacée ignominieusement par cette fille sans nom. L’embarras est grand, et les gendarmes, qui n’y comprennent rien, veulent arrêter tout le monde. L’auteur a mis ici quelques belles paroles dans la bouche de l’étrangère, quand elle répond aux sarcasmes de Schlaukopf.

L’ÉTRANGÈRE.

Oui, raille-moi ! rouvre ma plaie de tes doigts sanglans. Tu la connais, la main qui a versé mon sang et m’a arraché ma couronne. C’est toi, c’est toi qui m’as chassée de mes domaines, par ruse, par trahison, pour te livrer à tes débauches. Alors tu as fait monter à ma place cette créature, lâche instrument de libertinage, qui s’est donnée à toi sans résistance et sans pudeur. Elle repose sur des tapis somptueux ; moi, je couche, meurtrie, sur la pierre. Tu as construit des palais pour elle, des prisons pour moi. Tes courtisans l’ont entourée d’hommages ; moi, ils m’ont chassée, ils m’ont condamnée à tous les maux de l’exil ; ils ont mis à prix ma tête sans tache. Puis, comme