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pioche qui lui rend de grands services dans les discussions littéraires. Tant pis pour Mme l’Esthétique, c’est M. Prutz qui l’appelle ainsi, tant pis pour elle, si le métier du docteur, et les propos de Germania, et l’accouchement du philosophe, ne lui paraissent pas précisément ce qu’il y a de plus pur et de plus honnête ! elle sera rudement apostrophée et traitée d’hypocrite. Ceux qui blâment les inventions du nouvel Aristophane sont des fats qui pratiquent la vertu à l’Opéra, et qui gardent leur sotte admiration pour les frivolités de la poésie française, pour les romans de M. Paul de Kock et les drames de M. Victor Hugo. Le sens littéraire de M. Prutz, qui n’est pas du tout Mme l’Esthétique, confond très naturellement toutes ces choses. Puis l’auteur part de là, et fait une revue des poètes de son temps. Malheur à ceux qui n’ont point assaisonné leurs œuvres de jovialités tudesques ! ce sont des écrivains perfides dont il faut se défier. Un chaste poète, M. Halm, a emprunté aux légendes du moyen-âge cette admirable figure de Griselidis, si noblement illustrée par Boccace, et il en a fait une tragédie touchante ; M. Halm est un écrivain immoral, il amollit les ames. Son héroïne ne s’appelle pas Griselidis, mais Grisette. — Le reste ne saurait se traduire :

Auch die Griseldis krœntet ihr, das Ding aus Dreck und Butter,
Griseldis nicht : Grisette !


Et voilà M. Prutz dénonçant la pièce de M. Halm, laquelle, dans une société bien gouvernée, aurait été sévèrement défendue. C’est toujours, comme on voit, la même copie servile, inintelligente, du théâtre d’Aristophane, et parce que l’auteur des Nuées, dans la liberté des mœurs païennes, a pu discuter les œuvres de ses rivaux et accorder à sa muse un témoignage que confirmait la Grèce, M. Prutz ne sait ni comprendre les différences des temps et les privilèges d’un génie à part, ni prévoir les mésaventures qui l’attendent. Cette singulière invective se termine enfin par un appel au peuple : « O mon peuple, si tu veux que la Grèce revive par toi, renonce à la fausse pudeur. Aime surtout les couleurs franches, le blanc ou le noir ; laisse les teintes grises aux ânes. Les poètes étouffent dans l’atmosphère parfumée de l’esthétique. Un jour, quand tu auras conquis tous tes droits, tu auras aussi un théâtre politique ; alors ma comédie servira de modèle et de guide aux libres génies de l’avenir. » Après cela, il ne restait plus rien à dire, et M. Prutz est bien forcé de s’arrêter.

Malgré l’admiration que M. Prutz professe pour son œuvre, je ne voudrais pas être bien sévère pour lui, ni le traiter aussi rigoureusement