Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais continuons, la chose vaut la peine d’être examinée de près. Kilian refuse donc de passer par les mains du docteur, et il est chassé de la maison. Il ne partira cependant que s’il est payé ; mais comment faire ? le docteur n’a ni sou ni maille. Kilian propose à son maître de lui laisser emporter quelque objet de sa pharmacie, et les voilà tous deux examinant en détail fioles et alambics. Ici, maintes plaisanteries grotesques. Cette fiole contient l’esprit de M. Goeschel, conseiller, professeur, et qui a passé du camp de Hegel dans celui de Schelling. Cette autre, ce flacon infect, c’est la pensée de M. Henri Léo, distillée par M. Hengstemberg. — Prends garde, Kilian, s’écrie le docteur, tu tiens là l’essence de l’hypocrisie et de la délation ; auprès de ce venin exécrable, l’arsenic est une poudre bienfaisante. — La plaisanterie, si plaisanterie il y a, continue long-temps de la sorte ; et comment l’auteur, en rangeant ainsi dans des fioles empoisonnées l’esprit de ses adversaires, ne s’aperçoit-il pas qu’il est lui-même un de ces dénonciateurs injurieux qu’il prétend châtier ? Ce n’est rien encore, nous en verrons bien d’autres.

Cependant le jovial Kilian a tenu bon ; il conservera son estomac, et le docteur veut bien ne pas le chasser pour cette fois. Kilian reprend son service de chaque jour auprès de ce chirurgien endiablé, il va faire sa tournée par la ville, et chercher les malades honteux qu’il amènera en secret dans la maison de son maître. Ce maître en effet, il est temps de le dire, s’est donné un fâcheux métier, et sa maison ressemble fort à un mauvais lieu. Il faut l’entendre, lorsque, son instrument à la main, et attendant ses pratiques, il raconte lui-même tous les détails de son honnête entreprise. Que vous semble de l’invention ? C’est dans ce lieu équivoque, c’est entre les mains de ce personnage ignoble, que l’auteur va placer la satire de tout ce qui l’entoure. Il a voulu mettre à nu les plaies de son pays, et il l’amène, cette noble Allemagne, sous le scalpel brutal d’un charlatan sans vergogne !

Dès que ces confidences sont terminées, un mendiant se présente, humble, chapeau bas, et annonce au docteur qu’il est chargé de faire une quête pour élever une statue à l’héroïque représentant de la Germanie primitive, au vainqueur des légions romaines, à Arminius. Prenez garde, ce costume de mendiant est un costume d’emprunt ; le personnage qui le porte s’appelle Schlaukopf, c’est-à-dire fin matois, rusé coquin, et, si l’auteur ne désigne pas sous ce nom le roi de Prusse en personne, au moins ne peut-on douter que ce ne soit le pouvoir, l’autorité en général, ou, si l’on veut, la diète elle-même. Schlaukopf,