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restait seulement à joindre l’intelligence des affaires publiques. Il est vrai qu’elles s’emparèrent du pouvoir avant d’être complètement préparées à leur tâche nouvelle, de pénibles déceptions suivirent les fautes de leur inexpérience et de leur confiance en elles-mêmes ; toutefois, par la force des choses et la loi du temps, elles devaient arriver où nous les voyons aujourd’hui. Les classes ouvrières n’ont point devant elles le même avenir. La loi du travail matériel est trop exigeante ; tout en laissant libre carrière aux déplacemens individuels favorisés par le principe de l’égalité civile, elle maintient les destinées des classes. Complexe de sa nature, l’œuvre sociale embrasse une foule d’élémens qui absorbent presque exclusivement les activités particulières. Le bon sens des masses, laissé à lui-même, saisit à merveille les nécessités journalières qui résultent de ces lois fondamentales. Nous l’avons vu résister aux avances intéressées des partis, nous le verrons également repousser les promesses trompeuses des théoriciens du bonheur. L’agitation industrielle échouera comme l’agitation politique. Le mouvement actuel est même un hommage involontaire à la puissance des idées d’ordre, car on est obligé de recourir, pour agiter les masses, à une pensée d’organisation. Les institutions de l’ordre économique promettent-elles de réaliser jamais pour l’homme de travail un état inébranlable et sûr, à l’abri de tout accident extérieur et de l’influence de ses propres égaremens ? Hélas ! non ; tout ce qu’on peut demander au régime industriel, c’est de limiter ou d’adoucir les mauvaises chances, d’aplanir certains obstacles, d’assurer les droits de chacun, de préparer des ressources, en un mot de créer des garanties. Le système de la liberté du travail, qui respecte la dignité personnelle, et que notre état social impose, d’ailleurs, à notre législation économique, se prête avec une pleine sécurité aux mesures réclamées par l’intérêt des travailleurs, dans la double sphère des institutions protectrices et des lois de discipline.

On doit désirer d’abord que le gouvernement continue à étendre les établissemens destinés aux classes laborieuses ; qu’il recherche lui-même les moyens d’améliorer le régime des salles d’asile, des écoles primaires, des caisses d’épargnes ; qu’il profite de tous les exemples, de tous les essais des autres peuples. Voilà un but tracé d’avance aux efforts de l’administration, et vers lequel nous l’avons vue marcher depuis quinze ans avec une louable persévérance. L’enseignement professionnel, malgré quelques progrès accomplis, n’en est encore qu’à son début ; il est susceptible de recevoir des développemens féconds et des applications variées. Nous aimerions aussi voir déterminer par une loi les règles qui doivent présider aux sociétés de secours mutuels entre ouvriers. Cette institution, injustement critiquée à une autre époque par des esprits méticuleux, existe en Angleterre, sur une vaste échelle, avec un régime légal prévoyant et consacré par l’expérience. En France, abandonnée à elle-même, elle est beaucoup moins répandue, beaucoup moins active. Nos sociétés de secours mutuels manquent de bases et d’homogénéité. L’emploi des fonds, les garanties de leur conservation, les