Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/825

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le régime de la liberté répugne-t-il à l’idée d’ordre ? Non : il suppose l’ordre au contraire, car, en industrie comme en politique, il n’y a point de liberté sans règle. La liberté résulte de l’équilibre des forces diverses, destiné à prévenir tout choc, tout empiétement illégitime. Le travail demeure libre toutes les fois que le travailleur conserve la disposition de lui-même, qu’il peut choisir le métier auquel il appliquera son activité, en changer si cela lui convient, débattre les conditions de son concours, l’accorder ou le refuser quand bon lui semble. Chez nous, le travail est libre ; toutes les exigences de la liberté sont satisfaites. Nos pères ont adopté, il n’y a guère plus d’un demi-siècle, ce grand principe, glorieusement proclamé déjà par Turgot. Les résultats du nouveau régime ont été immenses.

Au premier moment et sous l’influence des idées de réaction contre des abus antérieurs, on s’était livré avec enthousiasme aux rêves d’une liberté illimitée, sans excès, se suffisant à elle-même. Cette belle illusion s’évanouit bientôt devant l’expérience. On sentit le besoin de modérer l’arbitraire individuel, qui dégénérait en licence et compromettait tous les intérêts. Un régime disciplinaire fut alors ébauché avec une hardiesse remarquable. La loi du 22 germinal an XI sur la police des manufactures, devenue insuffisante aujourd’hui, révélait des vues arrêtées et des prévisions lointaines : elle renouait des traditions violemment interrompues et posait les bases du nouvel ordre industriel. Des arrêtés sur les livrets d’ouvriers et sur l’établissement des chambres consultatives développèrent la pensée de cette loi. A la même époque, les chambres de commerce renaissaient, les conseils de prud’hommes allaient être institués. Tels furent les élémens de la nouvelle organisation ; il faut y ajouter les articles du code civil sur le louage d’ouvrage et ceux du code pénal contre les coalitions, déjà prévues par la loi de germinal. Quelques actes postérieurs ont modifié ou étendu les institutions de ce temps ; ils ont eu pour objet de les mettre d’accord avec l’esprit de notre nouveau droit public. D’autres dispositions réglementaires, celles, par exemple, qui concernent le travail des enfans dans les manufactures, appartiennent à un ordre d’idées tout-à-fait étranger à la législation économique du consulat et de l’empire. Le gouvernement de 1830 a sa part dans l’œuvre d’organisation de l’industrie. Les institutions protectrices destinées aux classes laborieuses et consacrées par des lois ou par des ordonnances royales, telles que les salles d’asile, les écoles, les caisses d’épargne, sont un élément très notable du régime actuel. On doit y rattacher aussi les institutions de différens corps d’état, efforts du travail pour trouver en lui-même des appuis et des garanties.

En dernière analyse, la nouvelle organisation se compose de lois de discipline contre certains abus de la liberté, d’établissemens publics créés dans l’intérêt des travailleurs, et des institutions privées de l’industrie. Elle ne saurait admettre, sans être aussitôt infidèle à son principe, des dispositions impératives concernant la répartition des produits entre les divers agens producteurs. Ce régime est-il homogène sur tous les points, est-il complet,