Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on compare La Calprenède à Mlle de Scudéry, chez qui l’histoire n’est plus qu’un cadre commode pour les historiettes contemporaines, et les noms antiques, des pseudonymes pour les gens de sa connaissance.

Le premier roman de Mlle de Scudéry, l’Illustre Bassa, parut en 1644 : son frère, qui le signa comme la Clélie et le Cyrus, doit y avoir mis la main. Là, comme partout, l’auteur fait bon marché de l’histoire, et ce sont des Turcs étranges que les Turcs de Mlle de Scudéry ; mais enfin les mœurs y sont un peu moins doucereuses, le langage moins tendre, les allusions moins fréquentes que dans ses autres romans. L’imitation de la Calprenède perce à chaque page ; Mlle de Scudéry ne copie pas encore exclusivement la société présente, elle copie les romans de son devancier. Avec beaucoup de bonne volonté, on pourrait à la rigueur se croire à Constantinople, ou à Byzance, comme on disait alors ; avec Cyrus et Clélie, nous serons décidément à Paris, rue Saint-Thomas du Louvre, dans la chambre bleue de Mme de Rambouillet.

L’Illustre Bossa a quatre volumes ; le Cyrus en a dix, chacun de douze cents pages environ, sans pages blanches, sans alinéas, sans têtes de chapitre et autres perfectionnemens modernes. On devine facilement la cause de cette excessive fécondité : c’est que des romans plus longs rapportaient davantage. Mlle de Scudéry avait besoin de cela pour vivre. Elle semble du reste avoir toujours fait ce commerce avec beaucoup d’honnêteté, et n’avoir jamais imité La Calprenède, qui, selon Tallemant, affinait plaisamment les libraires. « Il traitait avec eux pour deux ou quatre volumes ; après, quand ces volumes étaient faits, il leur disait : J’en veux faire trente, moi ! Il fallait venir à composition, et il leur fallait toujours donner quelque chose, de peur qu’il ne laissât l’ouvrage imparfait[1]. » Défendons-nous ici des rapprochemens.

Le sujet du second roman de Mlle de Scudéry est l’histoire de Cyrus, telle qu’elle est racontée dans Hérodote, mais entremêlée d’aventures héroïques ou galantes, et de récits étrangers au fond même du

  1. Il paraît que, si les romanciers attrapaient déjà leurs libraires, leurs confrères, les auteurs dramatiques ou autres, le leur rendaient bien. Aussi les faiseurs de romans prenaient-ils leurs précautions. Gomberville, dans le privilège (le Polexandre, fit insérer ce qui suit : « Faisons très expresses défenses à toutes personnes d’imprimer ledit livre… ni d’en extraire aucune pièce ou histoire pour les mettre en vers, ou en faire des desseins de comédies, tragédies, poèmes ou romans, même d’en prendre des titres ou frontispices ; sans le consentement de l’exposant, à peine de trois mille livres d’amende. » (Privilège du roi du 15 janvier 1637.)