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acteurs, c’était l’attitude des spectateurs et des critiques. Ce qui me donnait le plus d’espérance dans l’Allemagne du présent, ce n’était pas ce que disaient les orateurs de l’église insurgée, c’était ce que j’entendais dire d’eux et de leur mission. Jusque sous le feu de leur parole, il y avait, même parmi les plus simples, autre chose que de l’enthousiasme aveugle pour des idées passionnées, il y avait le besoin réfléchi de faire acte d’émancipation publique ; et quant aux hommes graves, quelle que fût leur opinion sur la valeur théorique de la doctrine, tous restaient d’abord et surtout attentifs à la portée sociale de l’événement. Profonde révolution qu’on ne remarque point assez ! Voici qu’un système se produit dans ce pays des systèmes ; il est armé de pied en cap ; il interroge la philosophie et l’histoire pour emprunter des titres à l’une, à l’autre un droit de cité ; il descend de la spéculation dans la pratique, et déclare qu’il va réformer le monde par la double vertu des vieilles traditions et de la science moderne ; ce système s’appelle hautement une religion ! et du système lu même, de la pure conception, l’Allemagne chercheuse, érudite et pédantesque, ne s’en occupe pas, ou bien s’en occupe-t-elle, c’est pour la prendre en dédain et passer outre ; mais c’est aux effets qu’elle s’arrête, c’est aux influences extérieures de ce vaste mouvement des consciences : ce qui la frappe, ce sont les résultats positifs ; c’est par les résultats qu’elle découvre et mesure les principes.

Que l’on ne s’y trompe pas, les résultats sont considérables : l’Allemagne se façonne à la vie réelle qui lui manquait ; elle est tout entière comme traversée par un même courant, et tous les esprits sont tendus en même temps vers un même but, vers un but immédiat et possible ; ç’a été là le premier fruit de cette récente agitation. L’on est sorti de l’isolement et de l’apathie des petites existences ; on est entré en foule sur les grands chemins par où marchent les grands peuples. Blessé pour ainsi dire à l’endroit le plus délicat, à l’endroit des convictions religieuses, le sens commun se réveille et s’inquiète ; il réclame satisfaction pour tout ce qu’on lui refuse, et on lui refusait beaucoup ; il ne se tourmente plus seulement de quelques articles de foi ; toutes les libertés sont en jeu, et l’on s’en est enfin aperçu. Il ne fallait qu’une occasion pour éclairer l’instinct des masses, pour leur apprendre quelles étaient au juste ces tristes lacunes des institutions qui les gouvernent : cette occasion, les rongiens l’ont fournie ; la pensée publique voulait un point de repère, ils le lui ont donné ; on leur a su un gré infini d’avoir appelé la nation à se prononcer elle-même en quelque chose, selon la mode des nations libres, et, sous ombre de discuter des matières