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les préparatifs militaires s’organisent sur une grande échelle. Il est remarquable, d’ailleurs, qu’aucun orateur ne conteste les principes mis en avant par les organes les plus avancés du parti démocratique, et que les chefs des whigs se bornent à combattre l’opportunité de ces manifestations incandescentes. C’est ainsi que M. Calhoun lui-même prononce un long discours pour établir le droit des États-Unis d’empêcher toute intervention européenne dans les affaires du nouveau continent, et qu’il va jusqu’à qualifier d'outrage inoui la conduite de la France et de l’Angleterre dans la Plata. Ce n’est qu’en s’abritant derrière ces doctrines qu’on parvient à obtenir l’ajournement à quelques jours d’un débat dangereux. Ce n’est également que sous la condition formelle de n’offrir à l’Angleterre que ce qu’elle a refusé jusqu’ici, qu’il est encore permis aux hommes modérés de parler de paix, et de faire des vœux pour une transaction. Avoir à traiter avec un tel peuple est une rude tâche, et les menaces de M. Allen ne doivent pas moins aller au cœur de sir Robert Peel que les sarcasmes de M. d’Israëli et les injures de M. Stafford O’Brien. Faire au dedans et au dehors des concessions sans exemple, livrer à la fois les lois céréales à la ligue et tout le cours de la Colombie aux États-Unis, telle est la double mission à laquelle le premier ministre de la couronne britannique se voit condamné. Certes, si les jours de l’empire sont passés pour la France, ceux de M. Pitt sont aussi à jamais passés pour l’Angleterre.

On comprend de quel prix est pour la Grande-Bretagne, dans une pareille situation, le maintien des bons rapports avec la France. Si l’une des deux puissances avait la pensée de vendre son alliance à l’autre, ce ne serait pas à coup sûr la France qui se trouverait placée dans la nécessité de l’acheter. Loin d’abuser de cette situation, félicitons-nous des pacifiques relations des deux peuples et de la gloire conquise en commun par les deux marines dans les eaux du Parana ; mais tâchons de rendre cette alliance féconde, ne fût-ce que pour la rendre durable. Que les scandales donnés en Syrie par des agens anglais cessent au moins d’affliger la chrétienté et d’attester au monde le mépris des conseils de la France. Ne rançonnons pas l’Angleterre au milieu des périls qu’elle traverse et des éventualités qui la menacent ; mais comprenons bien que la visite promise pour cet été par la reine Victoria ne saurait être le seul fruit de l’union de deux grands peuples, et que les fêtes préparées à Versailles la cimenteront moins qu’une intervention profitable à l’humanité.

Les étranges révélations que chaque jour amène sur l’état intérieur de la Russie et sur la persécution religieuse en Pologne fixent de plus en plus l’attention de l’Europe. L’exposé présenté à la congrégation de la propagande romaine par la supérieure des religieuses basiliennes a révélé au monde des cruautés qu’il semblait destiné à ne plus connaître. A de telles horreurs, le premier mouvement est d’opposer un sentiment d’incrédulité, et ce sentiment est d’autant plus naturel, que ces faits, pour être vrais, n’en sont pas moins invraisemblables ; mais comment douter, comment ne pas voir que de