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devant des banquettes dégarnies, que de remuer, au milieu de toutes les émotions populaires, les terribles problèmes que s’efforce de trancher en ce moment sir Robert Peel avec tant de courage et d’éclat.

Avec une fermeté qui l’honore, le premier lord de la trésorerie a demandé que la question des céréales fût soumise avant toute autre aux délibérations de la chambre, et qu’on ne s’occupât d’aucune partie du plan financier avant qu’elle fût résolue. L’engagement pris avant l’ouverture des débats, par les principaux membres du parti whig, de soutenir les mesures du baronnet, la détermination déjà pressentie de MM. Cobden et Bright, de ne pas entraver le vote de la mesure, tout en faisant au nom des free traders une démonstration en faveur de l’abolition immédiate, tous ces indices parlementaires, joints à la pression chaque jour plus forte exercée par l’opinion du dehors, ne laissaient, dès lundi soir, aucun doute sur le résultat final du débat au sein des communes. La discussion n’a du reste été signalée jusqu’ici par aucun incident remarquable. À la suite de M. Miles, qui a proposé l’ajournement du bill à six mois, sont arrivés à la file tous les chasseurs au renard et tous les suppôts d’Oxford, qui, avec plus de découragement encore que de fureur, ont reproché au premier ministre son ingratitude, sa trahison et ses attentats contre l’arche sainte de la propriété et de l’église. Sir W. Heathcote, lord Norreys, M. Hope, sir Robert Inglis, ont refait le discours de M. d’Israëli à peu près comme MM. Liadières et de Peyramont refont les harangues de M. Guizot. Un seul discours, celui de lord Sandon, a été remarqué au milieu de toutes les lamentations échappées au torysme en désarroi. Le noble lord, avec un grand sens politique, a déclaré que, tout en déplorant les mesures proposées par sir Robert Peel, il les voterait, attendu que lord John Russell ferait pis encore, et que, sous peine de courir vers un abîme, il fallait que l’Angleterre fût gouvernée par l’un ou par l’autre de ces deux hommes d’état. La peur d’une révolution imminente, tel est en effet le mobile unique de la politique anglaise dans cette crise ; elle inspire à la fois sir Robert Peel dans les mesures qu’il propose, et lord Sandon dans les votes auxquels il se résigne. Devant cette redoutable perspective, la chambre des lords ne manquera pas de fléchir, on n’entretient plus désormais aucun doute à cet égard.

Mais, si le résultat immédiat de la discussion législative est devenu certain, les résultats éloignés de la mesure elle-même ne prêtent pas moins aux conjectures les plus diverses. Quelles conséquences économiques auront des lois qui affecteront, dans la proportion d’un quart, selon les supputations les plus vraisemblables, la masse de la richesse produite par l’agriculture du royaume ? La culture anglaise pourra-t-elle soutenir la concurrence avec celle des pays étrangers ? L’aristocratie territoriale résistera-t-elle à cette épreuve, comme elle a triomphé de celle du bill de réforme ? C’est ce que personne assurément ne saurait dire. Il ne serait pas moins téméraire de hasarder des conjectures sur l’avenir politique que l’adoption de son plan financier prépare à sir Robert Peel. Après avoir livré les intérêts de son propre parti, trouvera-t-il encore dans celui-ci un grand dévouement pour le défendre ? et, lorsque