Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/745

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satisfaction illusoire aux tyranniques sommations d’un grand poète, a dû subir un de ces remaniemens risibles dont l’intérêt musical n’a qu’à souffrir, quelles espérances pouvait-on fonder sur une distribution des rôles si peu en harmonie avec le caractère des personnages ? Mlle Teresa Brambilla est une cantatrice pleine de verve et de chaleur ; son jeu a de fantasques boutades, et lorsqu’en trépignant elle dégoise un trille aigu, il n’y a pas jusqu’aux grappes frémissantes de ses cheveux d’ébène qui ne concourent à provoquer l’applaudissement. Mais là se borne le genre d’effet qu’on doit lui demander. Mlle Brambilla est plutôt une physionome originale qu’un talent réel, et j’en vois la preuve dans le peu de variété de son expression. Jusqu’ici les trois rôles qu’elle a créés nous l’ont montrée exactement la même. Sous la couronne à fleurons de la pupille du vieux Gourez comme sous le bonnet pimpant de la svelte Elizetta, c’est toujours plus ou moins l’Abigaïle de Nabucco, cette Bradamante un peu soubrette que vous connaissez, ce qui n’empêche pas les cadences, les trilles et toutes les arabesques chromatiques dont elle a le secret, d’aller leur train le mieux du monde. Cependant le caractère de dopa Sol, tel que Verdi l’a conçu, respire une certaine grace rêveuse, et par momens un pathétique, un accent tragique, qu’il faut rendre. Inutile de remarquer qu’à ces conditions nouvelles, si complètement en dehors de la nature de son talent, Mlle Brambilla a fait défaut. Ainsi, avec elle, le beau cantabile de l’air de doña Sol au premier acte passe inaperçu, et c’est grand dommage, car la phrase a de l’ampleur, de l’élégance, un contour exquis, et les inspirations mélodieuses ne se trouvent pas si aisément, qu’on ne doive regretter d’en voir une de ce genre se perdre par la faute de la cantatrice. Je dirai la même chose du magnifique trio final dans lequel ses forces la trahissent. Ce qui convient à Mlle Teresa Brambilla, c’est une vocalisation rapide, nerveuse, brillantée ; demandez-lui de l’élégance, de l’éclat, de la volubilité, et vous la verrez s’en tirer à merveille, témoin sa façon si charmante d’enlever au premier acte la cabalette de cet air dont elle manque le cantabile. Pour de l’émotion, du sérieux, elle n’en a pas ; elle a de la verve, du brio, mais point de pathétique : or, comme l’effet principal du grand trio de l'Ernani dépend de la sensibilité de la tragédienne et de la puissance de sa voix à la produire au dehors, les conditions du talent de Mlle Brambilla étant données, on ne pouvait guère que prévoir un échec. Quant à M. Malvezzi, chargé de la partie de premier ténor, en vérité ce n’était point la peine de le faire venir de Rome. Sans aller si loin, nous en avions à Paris plus de quatre qui se seraient acquittés bravement de son emploi. M. Malvezzi nous rappelle assez M. Massol de l’Académie royale de musique. C’est la même voix fruste, la même émission brutale, et s’obstinant à ne jamais tenir compte de l’intonation ni de la mesure. Puis, avec cela, par instans des effets d’une énergie puissante, des sons lancés à pleine poitrine qui portent haut et fort, et vous font oublier la maladresse de tout à l’heure en vous conseillant l’indulgence pour celle qui va nécessairement survenir.