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parties de la doctrine réaliste, M. de Rémusat adopte la seconde ; il la développe avec force et profondeur. Pourquoi semble-t-il vouloir reculer devant la première ? N’y a-t-il d’autre asile pour la pensée que le monde des faits, ou les espaces imaginaires que Guillaume de Champeaux a rêvés ? et ne peut-on croire que les lois existent réellement quelque part en dehors de notre esprit qui les conçoit et des phénomènes qui les subissent, sans s’égarer dans cette région chimérique où les sens ne pénètrent pas, où la raison se trouble et s’éblouit ?

M. de Rémusat ne veut pas du réalisme de Guillaume de Champeaux ; nous lui en proposons un autre, plus ancien et plus illustre, le réalisme de Platon. Qu’il ne dise pas que les idées de Dieu sont des modifications formelles de la substance divine, et non pas des êtres, car nous lui répondrions que c’est conclure trop vite de l’intelligence humaine à l’intelligence divine. Qu’il n’ôte pas à Platon, pour le transporter à Plutarque, comme il l’a fait quelque part, ce grand principe de métaphysique, adopté depuis par Malebranche, que Dieu est le lieu des idées comme l’espace est celui des corps. C’est faire aux néoplatoniciens trop d’honneur et trop rabaisser la doctrine du maître. Platon, avant Aristote, avait compris que la nature de l’intelligible est d’être connu, comme la nature de l’intelligence est de connaître ; il ne séparait point l’éternelle pensée de son éternel objet. Cet ouvrier puissant qu’il nous présente dans le Timée, et qui, saisissant cette masse informe de la matière qui s’agite dans le chaos et dans la nuit, règle ce mouvement, illumine ces ténèbres, apaise ces violences inouies, fait taire ces orages, dompte la nécessité par l’heureux et divin empire des lois de la Providence ; cet ouvrier, ce moteur, ce géomètre, accomplit toutes ces merveilles, l’œil toujours fixé sur l’immuable modèle qu’il trouve au dedans de lui. Tandis que le Dieu d’Aristote, absorbé dans la contemplation solitaire de sa grandeur, ne trouve en lui que lui-même, le Dieu de Platon, en se connaissant, connaît les essences éternelles, à la fois distinctes et inséparables de sa nature.

Si l’on cherche dans Abélard le dialecticien après le philosophe, si l’on passe avec lui de l’exposition même du conceptualisme à la discussion des deux autres écoles, il semble que ce n’est plus le même écrivain. Tout à l’heure confus, hésitant, superficiel, il devient tout à coup ferme, hardi, conséquent. Les raisons abondent, les invectives se pressent, les syllogismes s’enchaînent avec rigueur, la même conclusion revient à chaque pas, toujours avec une nouvelle force. On reconnaît ce terrible athlète qui jamais, dans les luttes journalières de la scolastique, n’a essuyé de défaite. Le réalisme surtout (celui de