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de deux sortes d’animaux entièrement dissemblables, et dont les uns, toujours enchaînés au rocher qui les vit naître, mettent pour ainsi dire en commun une portion de leur individualité, tandis que les autres, libres et isolés, jouissent d’une vie complètement indépendante. Qui de nous ne crierait au prodige, s’il voyait d’un œuf pondu dans sa basse-cour sortir un reptile, qui enfanterait ensuite de toutes pièces un nombre indéterminé de poissons et d’oiseaux ? Eh bien ! la génération des méduses est pour le moins aussi merveilleuse que le fait en apparence incroyable que nous venons de supposer.

Pour se passer chez des animaux inférieurs et trop peu observés jusqu’à ce jour, ces phénomènes ont-ils moins d’importance ? Non, certes. Et pour le zoologiste vraiment digne de ce nom, qui, sans s’arrêter aux modifications plus ou moins curieuses de la forme, cherche à pénétrer les secrets cachés sous cette enveloppe ; pour celui qui, voulant se faire une juste idée de la création, s’efforce de saisir tous les rapports établis entre les mille élémens de ce magnifique ensemble, ces faits ont autant de valeur que si on les voyait s’accomplir chez le mammifère le plus voisin de l’homme. Or, une de leurs premières conséquences, comme l’a dit M. Dujardin, c’est de nous montrer ce qu’ont d’inexact les notions généralement admises en zoologie sur la nature de l'espèce. Toutes les définitions données jusqu’à ce jour par les plus illustres maîtres de la science reposent principalement sur la ressemblance des individus, et nous, venons de voir que chez les syllis, chez les méduses, cette ressemblance n’existe ni entre les fils et les pareras, ni même entre les frères. L’idée toute biologique de succession des êtres devra donc être substituée dorénavant à l’idée toute morphologique d’identité dans leurs caractères.

À ces résultats, qui touchent aux questions fondamentales de la zoologie, viennent s’en ajouter d’autres plus généraux encore. Pendant bien des siècles, aux yeux du savant comme aux yeux de l’homme du monde, le règne animal et le règne végétal ont été séparés par des limites absolues. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. A mesure qu’on a davantage cherché à préciser les différences prétendues qui devaient exister entre ces grandes divisions de la création animée, on les a vues s’effacer une à une. Sans doute, au sommet des deux règnes, le naturaliste ne saurait se méprendre sur la nature animale ou végétale de l’être qu’il examine ; mais, à mesure qu’il descend en s’éloignant de ce point de départ, des analogies apparaissent, des ressemblances se prononcent, et un moment arrive où l’examen le plus scrupuleux ne suffit plus pour donner une certitude complète. A l’extrémité des