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attendent ce bourgeois parvenu, pour lui offrir les fleurs de leur éloquence. De Whitehall il se rend à sa demeure du « Poulailler, » où le soldat va se reposer dans sa famille. Les sombres puritains poussent des cris, les volées de l’artillerie retentissent, les chapeaux pointus sautent en l’air ; les clameurs de la joie populaire remplissent les rues ; félicitations et flatteries se mêlent dans le palais habité par Cromwell. Il avait ses courtisans, comme Napoléon revenant d’Égypte. L’un d’eux lui dit : — Quelle foule s’empresse de voir le triomphe de votre seigneurie ! — Oui, dit Cromwell, et, s’il s’agissait de me voir pendre, quelle foule y aurait-il ! »

A peine jouit-il du repos du Cockpit, et se livre-t-il à quelques pardonnables facéties, dont l’une consiste à jeter des oreillers à la tête de ses amis dans un escalier, et l’autre à faire chanter des motets à deux ou trois de ses plus lourds et de ses plus grossiers capitaines ; un nouveau péril fort grave menace la jeune république. En tuant le roi, l’on n’a pas tué la royauté. Les Écossais jaloux se souviennent de leur compatriote, du jeune Stuart, fils de Charles Ier, assez mauvais sujet, issu de Catherine Muir de Caldwell, Écossaise, et de Steward, autre Écossais ; on impose à Charles II le covenant, c’est-à-dire le serment biblique, et on lui fait écouter trois sermons presbytériens par jour ; il s’en console en courant les rues avec Buckingham, et en faisant l’orgie avec Wilmot. Cependant l’Écosse s’arme pour lui, et Cromwell se met en marche, non sans penser à sermonner sa famille, car il est toujours prédicateur infatigable et moral, comme le prouve le billet suivant.


Pour mon bien-aimé frère Richard Mayor, écuyer, à sa maison à Hursley, remettez ces lettres.

« Alnswick, 17 juin 1650.

« CHER FRÈRE,

« L’extrême foule d’affaires que j’ai eues à Londres est la meilleure excuse que je puisse prendre de mon silence en lettres. Vraiment, monsieur, mon cœur m’est témoin que je ne suis pas fautif dans mon affection pour vous et les vôtres ; vous êtes tous souvent dans mes humbles prières.

« Je serais bien content d’apprendre comment va le marmot. Je gronderais volontiers père et mère de leur négligence à mon égard : je sais que mon fils est paresseux, mais j’avais meilleure opinion de Dorothée. J’ai peur que son mari ne la gâte ; je vous en prie, dites-le bien de ma part. Si j’avais autant de loisir qu’eux, j’écrirais quelquefois. Si ma fille est enceinte, je lui pardonne, mais non si elle nourrit.

« Que le Seigneur les bénisse ! J’espère que vous donnez à mon fils (Richard) de bons conseils ; je crois qu’il en a besoin. Il est à l’époque dangereuse de sa vie, et ce monde est plein de vanité. Oh ! combien il est bon de s’approcher