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si profondément persuadé de la présence de la main divine, qu’il touche à la fois à la superstition et au fanatisme, et, quoi qu’en dise Voltaire, cela ne le rapetisse pas ; on peut être enthousiaste et grand, comme on peut être sensément petit. Cromwell portait la Bible dans le cœur, Calvin dans le cerveau. C’est cette foi, cette ardeur de conviction que Carlyle exalte, non sans raison. Devant elle, les Essex et les Manchester, les gentilshommes bien élevés, un peu sceptiques, à demi calvinistes, ne tardent pas à s’effacer. C’est Cromwell qui, un jour de bataille, comme on lui disait que le roi en personne conduirait son armée, répliqua : « Je tirerai sur lui comme sur un autre ! » C’est encore Cromwell qui s’écrie devant son état-major : « On ne sera bien Angleterre que lorsqu’il n’y sera plus question de noblesse ! » Enfin, c’est lui qui fait décréter « l’abnégation calviniste » (self denying) comme loi de l’état, et qui décide le parlement à « modeler » l’armée sur le type biblique (new-model) : extravagantes inventions d’un protestantisme extrême, folies décisives qui donnaient un corps et une discipline aux plus ardentes passions de l’époque, de la race et du pays. L’ombre de Knox dut se réjouir et Rome trembler. Les modérés furent forcés de se taire ; Essex reçut une pension qu’on ne lui paya guère, Manchester s’éclipsa dans les comités administratifs, et comme on avait grand besoin de Cromwell, qui était à la fois le meilleur soldat, le plus dur à la peine et le plus dévot puritain, le parlement le nomma lieutenant-général et le laissa dans les comtés de l’est continuer à protéger les calvinistes. Le roi battu, bivouaquant dans les champs et au sommet des collines, échappant à la fureur puritaine par des marches et des contre-marches, errant des mois entiers comme un bohème dans son royaume insurgé, tantôt passant la nuit sous un hangar, tantôt déguisé « en groom » après une défaite, soutenait, avec un front calme et avec une résignation que M. Carlyle n’admire pas assez, cette triste fortune. Bristol tombait aux mains des parlementaires ; les royalistes commençaient à s’enfermer dans leurs châteaux et forteresses, et rien ne causait plus de joie aux calvinistes que la chute de ces monumens féodaux.

Près de Basingstoke, dans le Hampshire, s’élevait un manoir fortifié appartenant au marquis de Winchester, catholique, grand ennemi des parlementaires, et d’où depuis quatre années, grace à l’épaisseur de ses murailles et aux localités, le marquis et sa famille, entourés de nombreux serviteurs, avaient bravé les ennemis du trône et de la noblesse. Basing-House (le château de Basing) avait soutenu quatre siéges et restait debout, en dépit de la population calviniste,