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un personnage avec lequel il ne faut pas plaisanter. Pour quiconque n’est pas calviniste pur, il est sans pitié, et n’a pas une larme pour ce pauvre Cavendish, gentilhomme de vingt-trois ans, aimable, accompli, que tous les cavaliers et les poètes pleurèrent, et qui tomba dans cette fondrière, percé à mort d’une grande épée puritaine. Déjà se réunissent autour du fermier de Saint-Yves les plus terribles troupiers bibliques, les ironsides ou « poitrines d’airain[1], » qui formèrent plus tard sa vieille garde. Ce sont gens qui ne plaisantent pas plus que leur chef ; la force morale soutient en eux la vigueur du corps. « Il n’y en a pas un, dit le journaliste contemporain Vicars, qui boive, paillarde ou pille. Celui qui jure paie une amende de douze pence. » Cromwell est le maître de ces hommes.

Un nouveau monde politique qui éclot exige un nouveau roi ; le voici. Observez quel ton décisif et vigoureux prend ce Cromwell à la tête de l’association des sept comtés, l’assurance redoutable avec laquelle il saisit, dès l’origine, la conduite des affaires, et surtout sa foi profonde dans l’énergie morale de son calvinisme invétéré. Étudiée de près, dans les documens officiels et les correspondances authentiques, la vie de Cromwell se simplifie. C’est une marche constante vers la royauté par la victoire, une permanence de combat soutenue par la volonté et la sagacité, surtout une clairvoyance qui révèle toujours ce que veut l’avenir, et tire de la confusion et du chaos ce que la nation calviniste désire.

Après cinq ou six victoires, il reparaît dans la cathédrale même d’Ely, où il avait laissé sa famille et sa femme. Là il se hâte de faire tomber les quatre surplis, et comme le prêtre était à l’autel : « Allons, cria cette voix âpre, arrivez, monsieur, et plus d’enfantillage ! » Le révérend Bitch donna les quatre surplis.

Cependant les batailles succèdent aux batailles ; les « poitrines d’airain » de Cromwell, qui perd son fils dans la guerre, achèvent de s’y bronzer, et Cromwell lui-même, continuant ce mouvement d’ascension qui l’emporte, s’accoutume à se regarder, non plus comme un mortel, mais comme l’instrument divin des miséricordes et des vengeances. Les sombres vapeurs de Saint-Yves se dissipent pour faire place à une activité infatigable et triomphante. Sans doute elle se montra farouche, violente, sanguinaire, et employa mille artifices ; on ne peut le soupçonner de mensonge. Les maux qu’il éprouve sont des « visitations. » Les heureux succès sont des « providences. » Il est

  1. Littéralement : cotes-de fer. Voyez Bates, Elenchus Motuum.