Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’être mérités. Les philosophes allemands prennent trop souvent notre modération pour de la faiblesse, et notre discrétion pour de l’impuissance. La théodicée de Descartes et de Leibnitz, que nous nous honorons en effet de suivre, leur paraît presque vide, parce qu’elle se borne à éclaircir quelques-uns des attributs de l’être des êtres, et sait marquer des limites à la curiosité de l’homme ; mais ces limites, nous ne les avons pas faites, et, puisqu’on ne les peut détruire, la véritable sagesse est de les reconnaître, et la véritable force de ne jamais les franchir. Il faut l’avouer, au surplus : en France, nous craignons les illusions et nous avons peu de goût pour les grandes aventures. Le seul besoin qui nous tourmente profondément, c’est celui de voir clair dans nos idées. Nous disons tous volontiers ce que répétait sans cesse l’illustre et regrettable Jouffroy : Je n’ai pas peur du doute ; j’ai peur de l’obscurité.

Conservons cette terreur salutaire : mais n’en abusons pas. Sachons emprunter à l’Allemagne quelque chose de sa généreuse ardeur. Surtout gardons-nous d’isoler la philosophie. Souvenons-nous qu’au temps de Descartes et de Malebranche, elle se mêlait intimement aux sciences, à la religion, à toute la vie intellectuelle et morale de la société. C’est par là que la philosophie française a joué un rôle dans les grandes affaires du monde ; c’est par là qu’elle saura le conserver et l’accroître encore.


EMILE SAISSET.