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ce que Hegel n’a jamais su reconnaître : le contraste de l’orgueil humain et de la prodigieuse faiblesse de notre nature. Voilà un penseur versé dans les sciences physiques qui prend parti entre Keppler et Newton, abstraction faite du calcul et des expériences ; voilà un philosophe qui définit la lumière, le moi de la nature, qui nous assure que le feu n’est autre chose que l’air devenu affirmatif, sans parler de mille autres propositions non moins bizarres que mon respect pour le génie de Hegel m’empêche de citer.

Tout cela ne serait rien encore, si Hegel restait dans le domaine de la physique ; mais quand il porte dans les sciences morales ce mépris du bon sens, ce défi audacieux jeté aux notions reçues, ces définitions prodigieuses, ces analogies extraordinaires, ces monstrueuses transformations ; quand on le voit rompre en visière à tout ce que les hommes respectent, identifier le bien et le mal, le droit et le fait, le libre arbitre et la fatalité, on se souvient alors que Hegel, dans ses Leçons sur l’histoire de la philosophie, a réhabilité les sophistes, et on s’éloigne avec une sorte de tristesse et de dégoût d’une philosophie qui nous promettait de tout comprendre et de tout éclaircir, et qui n’est le plus souvent que le chaos de toutes les idées, la confusion de tout langage, la négation de toute science et de toute foi.


Nous ne voulons aboutir au surplus qu’à une conclusion très simple c’est que la philosophie allemande, quelle que soit sa part d’originalité et de grandeur, si riches, si neuves, si brillantes que puissent être plusieurs de ses applications, quelle que soit la place encore indécise que la postérité assignera aux hommes de génie qui ont marché ou qui marchent encore à sa tête, la philosophie allemande s’appuie sur une méthode radicalement défectueuse, répudiée par le sens commun, condamnée par les leçons de l’histoire, convaincue d’illusion par ses propres égaremens et d’inconséquence par ses propres aveux, incompatible enfin avec les conditions de la science et la constitution de l’esprit humain.

Rien n’est plus propre, ce nous semble, que ces aberrations de la raison spéculative à nous attacher de plus en plus à la méthode qui a fait de tout temps la force et l’honneur de la philosophie française, et lui a donné sur la vie réelle une si féconde influence. Est-ce à dire que nous n’ayons pas à notre tour plus d’une utile leçon à recevoir de l’Allemagne ? Nous sommes bien éloignés d’une telle pensée. Des reproches essentiels que nous adressent nos voisins, s’il n’en est aucun