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détermine, s’objective par sa nature, et se donne ainsi à lui-même une première forme qu’il brise aussitôt pour en revêtir une autre, jusqu’à ce qu’il ait épuisé sa puissance d’objectivité, et soit entré en pleine possession de son être.

Ici Hegel arrête son maître et lui dit : Vous êtes infidèle aux conditions de la science absolue. La science absolue doit tout expliquer et tout démontrer. Or, vous débutez par une hypothèse et par une énigme. L’absolu se divise, l’identique se différencie. Qu’est-ce que l’absolu ? qu’est-ce que l’identique ? Il se divise, dites-vous ; il se différencie, il s’objective ; pourquoi cela et comment ? Le principe du système doit être clair par excellence, puisqu’il doit tout éclaircir. Or, votre principe est inintelligible, et il offusquera de ses ténèbres le reste du système. Puis, comment décrirez-vous l’évolution de l’absolu dans la nature et dans l’homme ? Vous ne connaissez pas la nature de l’absolu et les lois intimes de son développement. Comment pourrez-vous le voir dans les choses, ne le voyant pas en soi ? Il faudra donc recourir à l’expérience. Vous sortez de la science absolue.

Nous ne savons pas, en vérité, ce que Schelling pourrait répondre à ces objections. On ne saurait mieux le mettre en contradiction avec ses propres principes, et signaler dans son système les deux choses qui ne devraient jamais se rencontrer dans une philosophie toute a priori  : des mystères inexpliqués, des secours tirés de l’expérience.

Mais si Hegel triomphe contre Schelling, le maître n’est pas moins fort contre son disciple. Il faut entendre Schelling presser de sa vive dialectique les fastueuses théories qui, entre autres torts, ont eu celui de faire oublier les siennes. On a prétendu, dit-il, qu’en métaphysique, il ne fallait rien supposer. On m’a reproché de faire des hypothèses. Or, par où commence-t-on ? Par une hypothèse, et la plus étrange de toutes, l’hypothèse de la notion logique, ou de l’idée « à laquelle on attribue la faculté de se transformer par sa nature même en son contraire, et puis de retourner à soi, de redevenir elle-même, chose qu’on peut bien penser d’un être réel, vivant, mais qu’on ne saurait dire de la simple notion sans la plus absurde des fictions[1]. » Voilà, suivant Schelling, une première supposition toute gratuite. Cependant le système se soutient assez bien tant qu’on reste dans la sphère de la logique pure, où il ne s’agit que de combiner des abstractions ; mais comment passer de l’idée à l’être ? Cela est impossible, cela est inconcevable. Nouvelle hypothèse, nouvelle absurdité,

  1. Jugement de M. Schelling, etc., p. 17.