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paraître leurs pieds tournés en sens contraire, et plus ils s’éloignaient, plus les Macâlyks croyaient les voir avancer vers eux.

Après cela, que croire des vertus plus ou moins surnaturelles que le cheikh attribue à certains arbres, par exemple de ce suc végétal qui fait changer à l’instant la couleur du poil des chevaux[1], recette enviée des gitanos de toutes les Espagnes ? Comment s’expliquer aussi ces arcs-en-ciel se dressant en ligne droite, qu’il dit avoir observés tant de fois ? On conçoit combien la partie scientifique laisse à désirer dans cette relation d’un musulman ; il a amassé les faits, les a présentés vivement, d’une façon nette, précise, pittoresque même ; il a raconté souvent avec la verve d’un poète, quelquefois sous l’impulsion désordonnée de ses souvenirs, s’interrompant lui-même dans son récit au moyen de cette formule : Nous en reparlerons plus loin, s’il plaît à Dieu ! Il lui a manqué aussi l’art et les instrumens au moyen desquels on mesure les distances et on détermine la position exacte des lieux. Jusqu’aux frontières du Dârfour, l’itinéraire de Mohammed est le même que celui de W. Browne : ce sont encore les observations de ce hardi voyageur qui servent de base à la carte de ce pays, puisqu’il a pu fixer la latitude de Kôbeyh, qui en est la ville principale. Songeons toutefois combien les indications de Mohammed seraient précieuses à un Européen, si jamais la route se trouvait ouverte. Son ouvrage à la main, le voyageur n’aurait qu’à aller droit devant lui, en comptant les jours de marche. Les jalons ne sont-ils pas placés d’avance ? Il est dit dans l’appendice que le cheikh, malgré son âge assez avancé, se montre prêt à retourner au Dârfour, et à y servir de guide aux hommes que leur zèle pour la science entraînerait sur ses pas. L’occasion serait belle si les hostilités avec l’Égypte n’apportaient un obstacle de plus à un pareil projet en désignant aux yeux des naturels, comme un espion du pacha, quiconque franchirait la frontière.

Ce voyage a été écrit en arabe ; c’est en tous points l’œuvre d’un littérateur d’Orient. Nommé réviseur et correcteur à l’école de médecine d’Abou-Zabel, le cheikh Mohammed a fait ses preuves d’érudition et d’intelligence en prenant une part active à la publication des livres traduits des langues de l’Europe : trois cents ouvrages sont sortis de cette imprimerie, fondée dans la capitale de l’Égypte depuis quelques années seulement. M. le docteur Perron, directeur de l’école de médecine

  1. Les Chinois prétendent savoir le moyen de changer la couleur des yeux, des cheveux et de la barbe ; il suffit pour cela de prendre un certain breuvage pendant un espace de temps déterminé.