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et de donner ainsi des bases solides à la puissance française sur le golfe. La Salle développa son plan dans un second mémoire, avec une lucidité admirable. Des vues véritablement politiques l’élèvent fort au-dessus d’un voyageur hardi ou d’un aventurier entreprenant. Il fit accepter ses idées, et il obtint l’autorisation de fonder une colonie au midi de l’Amérique septentrionale. Le gouvernement français désirait depuis long-temps de se trouver à portée des possessions espagnoles. Dans les lettres patentes de 1678 qui avaient autorisé l’expédition précédente, il était dit expressément : « Nous avons consenti à cette proposition d’autant plus volontiers que nous n’avons rien tant à cœur que la découverte de cette contrée, dans laquelle il y a apparence que l’on trouvera un chemin pour pénétrer jusqu’au Mexique. » La Salle mit à la voile, au mois de juillet 1684, avec une petite flottille composée de quatre navires. Il n’occupait aucun rang ni dans l’armée de terre ni dans la marine ; aussi, dans ses relations avec M. de Beaujeu, commandant de l’escadre, eut-il à subir diverses contrariétés. Heureusement M. de Beaujeu repartit pour la France après le débarquement sur les côtes du Texas.

L’expédition avait, sans le savoir, dépassé le Mississipi ; La Salle se hâta d’élever un fort, et se mit ensuite à chercher le cours du fleuve. On croit qu’il ne s’éloigna pas de plus d’une journée de la baie de Saint-Bernard du côté de Mexico. Après avoir construit un nouveau fort, plus favorablement situé que le premier, il se remit en route à la tête de vingt hommes, laissant le commandement à Joutel, qui l’avait accompagné dans ce dernier voyage, et qui fut pour lui un second Henri de Tonty. Ses recherches dans le pays durèrent quatre mois, après lesquels il rejoignit Joutel, et résolut de gagner le Canada en traversant tout le continent. Il prit encore vingt hommes avec lui, mais la maladie et la désertion l’obligèrent à revenir sur ses pas, et il rentra une seconde fois dans le fort, sept mois après l’avoir quitté. Tous ses voyages avaient été dirigés vers l’est, du côté du Mississipi et de l’Illinois. Une nouvelle expédition ayant été décidée, on partit le 12 janvier 1687. Deux mois plus tard, le 20 mars, La Salle périssait par une trahison odieuse. Lui qui avait vécu pendant vingt ans au milieu des cannibales, bravé leurs mœurs barbares et affronté mille dangers, fut assassiné par ses propres compagnons. Une conspiration avait été tramée par deux individus nommés Lanctot et Duhault. Il paraît que durant le voyage sur la côte La Salle avait forcé le frère de Lanctot de retourner seul au camp, parce qu’il se trouvait incapable de marcher ; les deux frères avaient en vain réclamé contre cet ordre ; en revenant au camp, le malade fut massacré par les sauvages. Lanctot jura qu’il ne pardonnerait jamais la mort de son frère ; il s’ouvrit d’abord à Duhault, puis il trouva d’autres mécontens disposés à devenir ses complices. Joutel nous apprend que les grandes qualités de son chef étaient contrebalancées par une hauteur de manières qui le rendait souvent insupportable, et par une dureté envers ses inférieurs qui souleva de profonds ressentimens. Les conspirateurs n’attendaient qu’une occasion favorable pour accomplir leurs projets de vengeance ; un hasard la fit naître. Un neveu de La Salle nommé