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Malgré les accusations dirigées contre lui, un cabinet qui a maintenu l’ordre depuis plus d’une année, qui a organisé l’administration municipale et provinciale, l’administration supérieure par le conseil d’état, qui a substitué au désordre des contributions anciennes un système uniforme et régulier, qui a établi sur de nouvelles bases l’enseignement public, un tel cabinet a fait ses preuves et rendu d’éminens services au pays. Certainement tout n’est point parfait dans les lois diverses que le gouvernement espagnol a promulguées depuis quelques mois avec l’autorisation préalable des chambres ; mais ce qu’il faut considérer, c’est que, pour la première fois depuis la révolution, on peut voir en Espagne un ensemble de mesures administratives acceptables. L’opposition elle-même le reconnaît bien, lorsqu’elle admet en principe l’excellence de toutes ces mesures. Sur quoi portent donc les reproches ? Sur des détails du système général, c’est-à-dire sur des imperfections que la pratique seule peut mettre en lumière et aider à corriger. Pense-t-on par exemple que le pouvoir civil puisse acquérir son autorité morale en un jour, que ce soit une œuvre bien facile d’appliquer tout un système financier sans statistique exacte, de fonder une administration qui puisse aussitôt suffire à tous les besoins ? On ne saurait trop le répéter cependant, c’est là le plus pressant besoin de la Péninsule, et ce serait une grande illusion de croire qu’au-delà des Pyrénées le pouvoir puisse aller impunément, comme en Angleterre, des tories extrêmes à sir Robert Peel, ou, comme en France, de M. Guizot à M. Molé ou à M. Thiers. Tant que l’Espagne n’aura pas cette organisation que le cabinet Narvaez a reçu la mission de créer, un changement de ministère ne sera rien moins qu’une révolution : chose assurément digne d’être méditée par tous les hommes du parti conservateur espagnol.

Malheureusement, nous le craignons, ces questions si vitales peuvent paraître aujourd’hui menacées encore d’un ajournement : la solution en est mise en péril par une autre question épineuse, brûlante, qui absorbe tous les esprits, et dont la passion publique s’est emparée : c’est le mariage de la reine. Il est aisé de voir que c’est la seule difficulté du gouvernement espagnol. On ne saurait imaginer à quel point les têtes sont échauffées à ce sujet, principalement à Madrid. Dans le congrès même, à vrai dire, c’est toujours à cela qu’on revient indirectement en parlant d’administration ou de finances ; et lorsque dans une séance fort orageuse un jeune député de l’opposition, M. Llorente, reprochait tout récemment au ministère, à propos du système tributaire, d’être un gouvernement de cour, cette accusation ne portait pas sur les projets de M. Mon, qui s’est défendu avec un plein succès. À tort ou à raison, on attribue à la reine-mère et au général Narvaez la résolution arrêtée de donner pour mari à la reine Isabelle le comte de Trapani. Or, dans toutes les classes en Espagne il y a une répugnance générale et extrême contre le jeune prince italien.

Dans la Péninsule, ou est toujours prompt à recourir aux moyens hasardeux, extra-légaux. Ainsi, par une imprudence peu concevable, l’infant don