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pour atténuer la vive impression causée par ces paroles au sein même de la majorité, c’est de jeter du haut de la tribune une éclatante déclaration de neutralité pour l’éventualité d’une guerre entre l’Angleterre et l’Amérique. La France a accepté cette déclaration, conforme aux sentimens comme aux intérêts du pays ; elle en remercie le gouvernement sans trop insister pour savoir comment la concilier avec la conduite tenue à Galveston. Puisse cette politique de neutralité être efficace ! puisse la France, dans le conflit de deux droits maritimes opposés et dans la lutte des principes les plus contraires, n’abandonner aucune des traditions qui ont fait sa force et sa gloire !

M. le ministre des affaires étrangères n’avait guère à opposer aux vastes considérations développées par M. Thiers qu’un seul fait, le respect des existences indépendantes et du statu quo territorial, tel qu’il est régi dans les deux mondes par les traités ; mais, lorsqu’il invoquait l’état de choses existant, et s’élevait contre l’ardeur conquérante des États-Unis, c’était pour retomber sous la pressante dialectique de M. Billault. Cet orateur, dans l’un de ses discours les plus substantiels, rappelait les invasions successives faites par l’Angleterre aux points les plus importans du vieux et du nouveau continent ; il la montrait s’établissant, sans protestations et sans obstacles de notre part, à Aden, à Bushire, dans la Nouvelle-Zélande, enfin dans le golfe du Mexique, à Balise et sur le territoire des Mosquitos.

Le débat sur cette importante question a repris à l’occasion du vote des paragraphes. Un admirable discours de M. Berryer a provoqué, de la part de M. le ministre des affaires étrangères, des explications analogues à celles qu’il avait fournies dans la discussion générale ; mais les déclarations plus nettes et plus précises sur le système de neutralité et sur la ferme intention du gouvernement de maintenir, en cas de guerre, les principes de droit maritime toujours professés par la France, ont sans doute augmenté le chiffre de la majorité, qui a rejeté l’amendement de M. Berryer. Peut-être cet amendement avait-il l’inconvénient de statuer pour une éventualité que tous écartent de leurs vieux ; c’était, comme l’a dit spirituellement M. Guizot, une réserve pour une hypothèse. Quoi qu’il en soit, l’effet de la discussion est produit, et les sentimens de la chambre ont éclaté avec une grande unanimité.

Le résultat de cette discussion aura été de donner au cabinet un sérieux avertissement. Toute décidée que soit la majorité à ne pas frapper les actes accomplis d’un blâme de nature à amener une crise ministérielle, il est manifeste qu’elle a improuvé la négociation relative au Texas, et que le cabinet est désormais placé dans l’impuissance de faire un pas de plus dans la voie où il semblait engagé. La majorité est dévouée à l’alliance anglaise ; mais elle la veut avec des limites déterminées et connues d’avance. Malheur au gouvernement qui, dans un entraînement irréfléchi, essaierait de les franchir !

Dans quinze jours, les sentimens véritables de la France seront connus au-delà de l’Atlantique, et à une froideur d’un moment succédera la confiance