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par faire périr le plus âgé des trois, Mohammed-Boukhâry, se contentant jusqu’à nouvel ordre de tenir les deux autres en charte privée. Les deux jeunes princes, dont l’un se nommait Abou-Madian, comprirent quel sort leur était réservé. Un prétexte leur fut offert de sortir du palais ; ils montèrent à cheval et atteignirent, en fuyant, les frontières du Dârfour. Un corps de cavaliers envoyé par le sultan à leur poursuite essaya vainement de les arrêter ; Abou-Madian tua de sa main le chef de la troupe, et, grace à l’inviolabilité absolue de sa personne comme prince du sang, il échappa aux coups des soldats. Des Arabes de la tribu de Bény-Djerrâr avaient pris parti pour les fugitifs ; mais, attaqués une seconde fois par les cavaliers dârforiens, ils trouvèrent plus prudent d’abandonner à leur sort ceux qu’ils avaient accueillis, non sans les avoir lâchement dépouillés d’une grande partie de leurs effets et de leurs provisions. Fuir dans le désert n’est pas toujours chose facile ; il faut forcément passer à portée des sources et des citernes pour y abreuver les chevaux. Abou-Madian, s’étant écarté de sa petite escorte pour chercher de l’eau, vit son frère enlevé par un parti d’ennemis qui fondit sur lui à l’improviste au moment où la fatigue l’obligeait à faire halte. Aussitôt il s’enfonça dans des collines de sable, changea de route et disparut. Après avoir erré à l’aventure dans ces solitudes inhospitalières où il ne rencontrait pas un visage humain qui ne fût celui d’un ennemi, Abou-Madian put faire parvenir au gouverneur égyptien d’Obéid, capitale du Kordofâl[1], une lettre dans laquelle il lui demandait asile et protection. Le gouverneur envoya des troupes à sa rencontre et le reçut au bruit du canon, pour lui rendre ainsi les honneurs dus à son titre de prince. Cette retraite sur le territoire égyptien inquiéta Mohammed-Fadl : il écrivit à son frère de revenir, lui donnant l’assurance qu’il l’accueillerait à bras ouverts ; mais Abou-Madian refusa, car il se défiait des intentions du sultan. Il savait de bonne source que ce perfide despote avait fait crever les yeux à son frère, enlevé près de lui, au milieu du désert, par les troupes impériales.

Ceci se passait en 1833. Cinq ans après, le pacha d’Égypte ayant poussé lui-même une reconnaissance jusque dans le Sennâr, Abou-Madian alla le voir et le supplia de ne pas perdre de vue l’expédition au Dârfour, projetée depuis long-temps. Méhémet-Ali, profitant de l’occasion qui lui était offerte de s’étendre au-delà du Kordofâl, avait

  1. Le Kordofâl est occupé par les troupes égyptiennes depuis l’expédition d’Ismaïl-Pacha.