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toute réalité extérieure, de sorte que la conscience humaine put bientôt devenir identique à l’intelligence absolue. En fait, le génie allemand s’est toujours plus ou moins complu dans l’abnégation du moi. Or, c’est ce moi de la pensée, de la volonté, de la croyance, que la société moderne a pris à tâche de fortifier et de grandir. Plus donc l’Allemagne entrera dans les voies modernes, plus elle se fera sagement et sciemment révolutionnaire, plus aussi elle s’éloignera de ces fantômes nuageux qui l’oppressent. Il arrive bien, dans l’inertie d’une existence muette et servile, qu’un peuple laisse absorber à plaisir tout ce qu’il a de vitalité par la contemplation trompeuse de l’infini : c’est l’esprit de l’Inde. Quand on n’a rien à faire avec le réel, on est sans défense contre cette puissance maligne du cerveau qui peut bâtir et toujours bâtir en l’air, on est l’esclave d’une logique artificielle, belle de cette beauté stérile qu’aurait la géométrie si les corps n’existaient pas. On ne touche rien de positif et de concret : on peut ainsi tout simplifier et tout abstraire, on supprime à son gré toutes ces diversités nécessaires qui font l’harmonie du monde pour les ramener au néant de je ne sais quelle formidable unité ; mais on aura vingt fois démontré cette ruine de l’essence humaine, que vingt fois, s’il le faut, l’homme se relèvera, se touchera, s’écoutera, et, respirant en lui-même la force originale et créatrice de la liberté, dira toujours : Moi ! Admirable retour des intelligences ! On voulait avoir un Dieu si grand, qu’on n’en avait plus du tout, et qu’on sacrifiait l’homme sur un autel vide. L’homme n’accepte pas cette unité dévorante qui lui coûte son être ; il veut vivre, et pour vivre il lui faut la dualité. L’homme anéanti ressuscite, et, du même coup, retrouve sa foi dans un Dieu existant par le seul sentiment de sa propre liberté. La liberté de l’homme sauve et garantit la personnalité de Dieu. On aura beau calomnier ce magnifique moment de la pensée, c’est un moment religieux. L’Allemagne s’en approche à mesure qu’elle mûrit pour l’avenir, et plus les terroristes de la dernière école hégélienne ont poussé leur panthéisme à bout, plus la réaction salutaire a fait de progrès. Le nom de panthéisme reste et restera sans doute encore par habitude scientifique, la chose s’en va. Ceux même qui croient garder la doctrine l’interprètent ou la démembrent pour la plier aux exigences de leur esprit ; ils ne s’aperçoivent pas qu’entre ces deux termes, dont le contraste les fâche toujours, quoi qu’ils en aient, entre l’universel et l’individu, ils sont bien plus soucieux de préserver l’un que d’embrasser l’autre. Ils se réjouissaient autrefois de cette science qui leur donnait la clé des harmonies du monde, et, comme enivrés