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rédigent sur le ton le plus virulent (Süddeutsche Zeitung) ; ils y plaident en faveur des superstitions de Trèves ; ils essaient de réchauffer le préjugé des masses contre les Juifs : il semble que le gouvernement ait voulu leur prouver son indépendance en donnant tout dernièrement une chaire de l’université de Heidelberg à un israélite distingué, M. Weil, l’auteur de la Vie de Mahomet. C’était vraiment osé, dans un pays où l’émancipation des Juifs est encore une question régulièrement débattue par les chambres et les divise, sans distinction de partis. Cette initiative du ministère badois fut d’un grand effet dans toute l’Allemagne ; gardons-nous bien de nous en étonner : par le temps qui court, elle eût été méritoire même chez nous.

Je rapporte tous ces détails avec l’intérêt qu’on mettait là-bas à me les raconter. Ce sont les accidens d’une grande histoire qui est en train de se faire : l’ordre civil ne tardera pas à se séparer, en Allemagne comme en France, de tout rapport obligatoire avec les cultes positifs. Lorsque je passai par Fribourg, c’était réellement sur ce point-là que portait tout l’effort de la lutte ; c’était par l’endroit le plus décisif et le plus délicat qu’elle était engagée. L’archevêque venait de renouveler, dans son diocèse, cette même querelle des mariages mixtes qui avait donné tant d’embarras à la Prusse il y a quelques années. Il s’y était pris moins violemment, avec des formes plus lentes et plus circonspectes. Il n’y gagna rien ; cette fois, le gouvernement ne mollit point, et l’affaire est pendante à Rome, tandis que les curés restent indécis entre les menaces d’excommunication lancées par le prélat et les menaces de destitution formellement signifiées par le ministère. Étrange position, fausse des deux côtés ! Les souverains allemands n’ont point encore voulu reconnaître ce principe le plus fondamental de la société moderne, à savoir que l’ordre civil subsiste par lui-même, et n’a pas besoin du support de l’église ; ils ont partout identifié l’église à l’état, plus encore par ambition que par piété. Ils en portent aujourd’hui la peine, ceux-ci d’une manière, ceux-là d’une autre : ceux-ci, parce que l’église se fait révolutionnaire comme dans l’Allemagne protestante du nord ; ceux-là, parce qu’elle se refuse aux besoins les plus essentiels de son temps, comme dans l’Allemagne catholique du midi. Pour ces derniers du moins, l’opinion les aide et leur prête plus de force qu’ils ne souhaiteraient même en avoir contre des ennemis dont ils rêvent toujours l’alliance. Elle va droit à la cause du mal, et s’en prend moins au prêtre qu’au souverain. Serviteur fidèle de la discipline religieuse, le prêtre en défend l’intégrité ; il ne veut point administrer le sacrement à quiconque ne partage pas les scrupules de