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dont je me fais humblement l’historien, si ordinaires que puissent vous paraître mes histoires, j’imagine cependant qu’elles auront quelque que intérêt pour vous ; je ne sache personne autre qui vienne jamais vous les dire avec tant de franchise ; et pourquoi trouveriez-vous si mauvais d’avoir été une fois si librement informé ? J’ai donc mis votre nom sur l’adresse de mes modestes épîtres ; j’ai osé cela sans intention mauvaise, sans ironie calculée, avec cette déférence qu’on doit aux illustres fortunes qui tombent ; ç’a été pour moi cet hommage involontaire que le plus obscur soldat d’une armée victorieuse rend d’instinct au plus habile général de l’armée vaincue. On assure, prince, que les rois ne vous gâtent plus tous ; ils vous ont tant gâté ! Vouloir vous faire ma cour après eux, c’est être ou bien naïf ou bien hardi. Il est vrai que mes complimens ne sont sans doute pas ceux qu’on vous offre tous les jours ; je compte un peu sur l’étrangeté d’un pareil langage pour mériter mon pardon.


I.

C’est la mode accoutumée des illustres voyageurs d’écrire leurs lettres entre deux relais, sur le coin d’une table d’auberge, pendant que les postillons crient et que les chevaux piaffent. J’avoue en toute humilité que je n’ai l’esprit ni assez vif, ni assez libre, pour saisir ainsi mes impressions au vol ; je les raconte après coup ; si peut-être elles sont moins soudaines, elles seront peut-être aussi plus exactes, et la matière en est assez sérieuse pour qu’il ne soit point mauvais de sacrifier ici le pittoresque à la sincérité. Je recommence, les pieds sur les chenets, ces quelques mois de courses et d’observations lointaines. Durant les longues veillées de l’hiver, dans le silence de cette calme solitude qui ne se trouve si bien qu’au fond des grandes villes, je me plais à revivre en esprit de cette vie agitée dont j’ai partout là-bas suivi les traces et consulté les échos ; je reviens lentement sur mes pas, je me rappelle les hommes que j’ai rencontrés, je revois leurs figures, j’écoute leurs discours, et plus je réfléchis, plus je compare, plus aussi je reste frappé de ce mouvant spectacle, dont les scènes se déroulent encore sous mes yeux. J’ai assisté, j’en suis sûr, au début de quelque grand évènement ; témoin secret, mais passionné, j’ai ressenti moi-même les premiers tressaillemens de cette fièvre inquiète qui fermente au sein de l’Allemagne ; c’est un lever de rideau : les spectateurs frémissent, ils se pressent, ils se serrent, ils se taisent, ils s’interrogent