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élégant, qui forme avec Théocrite et Bion la pléiade des écrivains bucoliques avant Virgile.


L’histoire de la critique est encore à faire ; il y aurait plus d’un grave enseignement à en tirer ; nous n’en voulons pour preuve qu’une des pages les moins connues de cette histoire, celle que nous avons essayé de restituer. Lorsque l’auteur du Traité sur le sublime écrivait : La critique littéraire est le dernier produit d’une longue expérience, il semblait dire, pensant à Aristarque, qu’un moment vient dans les littératures où la raison et le goût jugent en dernier ressort les œuvres de l’esprit, et leur assignent un rang invariable dans l’estime de la postérité. Ce travail n’est pas aussi simple, et ces jugemens sont moins définitifs que les anciens n’aimaient à le croire. Bien des essais avaient préparé l’œuvre d’Aristarque, et celle-ci à son tour a provoqué des contradictions. Le temps a fait naître pour la critique des problèmes nouveaux. L’éloquence, la poésie, ont trouvé d’autres lois, subi d’autres conditions à travers les vicissitudes de la société grecque. Les horizons du goût se sont tour à tour élargis ou resserrés selon les passions littéraires de chaque jour. Les lettres grecques, puis les lettres latines, ont eu leurs périodes alternatives de fécondité et de lassitude, d’inspiration et de stérile patience, de naturel et de recherche. La querelle, maintenant assoupie, chez nous, des romantiques et des classiques, est plus vieille qu’Aristarque, et s’est plus d’une fois réveillée après lui : ce serait, dans l’antiquité seulement, l’objet d’une étude curieuse, qui remettrait en présence, non plus les droits d’Homère ou de Sophocle jugés plusieurs siècles après leur mort, mais les prétentions d’écoles contemporaines et rivales se disputant l’honneur des bonnes théories et des saines pratiques. Du milieu de ces débats, une vérité ressortirait avec évidence, c’est que tôt ou tard, moins par le génie des hommes que par le travail des siècles, le bon goût triomphe dans les jugemens du public. On raconte que certain poète épique d’Alexandrie faillit être classé, dans le Canon, auprès d’Homère. Aristophane et Aristarque s’abstinrent toutefois, parce que ce poète était vivant ; il avait des amis sans doute, et de nombreux prôneurs. La postérité l’a laissé sous le vestibule du temple où brille la statue d’Homère : il se nomme Apollonius de Rhodes.


E. EGGER.