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de ce dernier pays, d’un autre côté, elle favorisait son ambition ; il y voyait un excellent prétexte d’exposer à la mort dans les combats ses deux frères aînés qui vivaient encore, et dont il avait usurpé les droits en montant sur le trône, ainsi que ses neveux. Il partit donc avec tous les membres de cette famille destinée à périr sous les coups de l’ennemi ; mais, à son approche, Hâchim se réfugia dans le Sennâr, et Tyrâb, fort embarrassé de ce cortége de princes du sang impérial, s’obstina à rester dans le Kordofâl. L’armée, mécontente, se mit à murmurer ; les grands, princes et vizirs, regrettaient leurs familles et leur pays, selon cette sentence du prophète : « L’amour de la patrie est presque de la religion. » De cet ennui général des troupes naquit bientôt une conspiration ; un émyn forma le projet d’assassiner le sultan dans sa demeure, manqua son coup, et tomba lui-même sous le sabre des gardes en se défendant comme un lion. C’était un avertissement pour Tyrâb ; il ne songea cependant point à modifier ses projets, et voulut tirer parti de ce terrible incident pour épouvanter les chefs de l’armée. D’après son ordre, le cadavre de l’émyn, enveloppé dans un manteau, est mis à part jusqu’au lendemain ; dans la nuit, la scène se prépare : le sultan appelle les vizirs au conseil, et chacun d’eux, secrètement troublé, forcé d’ailleurs d’entrer sans escorte, se range à sa place ; derrière eux se tiennent des esclaves, armés de pied en cap, l’air fier et menaçant. Le sultan paraît alors ; il était enveloppé d’une pelisse noire, sur son front s’abaissait un cachemire rouge, roulé en turban : ce sont là les marques de la colère impériale. Dès qu’on eut apporté au milieu de l’assemblée le cadavre de l’émyn, le sultan fit enlever le manteau dont il était recouvert, en s’écriant : Le reconnaissez-vous ? Personne n’osa répondre. Cependant un des chefs, père de l’une des femmes de Tyrâb, prit la parole, et dit : Oui, nous le reconnaissons. Si tu veux notre sang, nous voilà ; si tu veux nous faire grace, tu en es le maître. — Mais, reprit le sultan, qui vous a portés à conspirer ? — Tu nous a amenés ici ; tu sais que dans notre pays sont nos parens, nos familles, nos enfans. Tu nous prives de les, voir, de jouir de leur présence ; rien ne t’excuse de nous retenir ici. La vie ne nous est bonne que chez nous. — Le prince comprit bien qu’il ne pourrait vaincre cette obstination, pourtant il résolut de ne pas céder. Sa dernière ressource fut de se faire passer pour malade ; il ne parut plus au divan, et ne s’occupa plus des affaires publiques. Cette maladie feinte devint réelle ; sa robuste santé s’altéra rapidement, et il mourut en désignant pour lui succéder son fils aîné, le khalife Ishâq.