voulut avoir le sien, dont elle confia la préparation à quelque savant critique. Il y eut ainsi l’édition de Chio, celle d’Argos, celle de Sinope. Notre Marseille, aujourd’hui si oublieuse de la Grèce qui la civilisa aux temps les plus obscurs de la barbarie gauloise, Marseille ne se souvient guère qu’elle aussi alors donnait son nom à une édition d’Homère. A l’autre bout du monde, sous le règne de Domitien, le rhéteur Dion Chrysostôme retrouvait Homère honoré, chanté par des aveugles, au milieu des Scythes et des Sarmates, sur les bords du Borysthène. A Alexandrie, la ville des grammairiens et des critiques, les éditions abondèrent. Zénodote, Aristophane, avaient signé de leur nom des textes d’Homère corrigés par leurs soins. Aristarque, venu après tant de maîtres, instruit par leurs exemples et souvent par leurs erreurs, doué d’ailleurs d’un sens critique aussi juste que délicat, et muni d’une grande érudition, publia à son tour un Homère qui surpassa tous les autres, sans les faire complètement oublier, et mérita de parvenir jusqu’à nous, comme le dernier effort de la science et du goût dans une étude où, depuis Pisistrate, la Grèce avait déployé, avec amour, tant de savoir et de subtilité. Ce travail, Aristarque le revit plusieurs fois, car il est question, chez le commentateur de Venise, de la première et de la deuxième leçon d’Aristarque. Il le justifia dans des Mémoires, qui, comme son édition même, firent naître bien d’autres travaux. Ainsi Aristonicus avait écrit un livre pour expliquer et discuter les signes apposés par Aristarque aux vers homériques qui lui semblaient interpolés ou incorrects, ou notables à quelque autre titre. Ammonius et Didyme disputaient pour savoir s’il y avait eu, à proprement dire, deux éditions d’Aristarque. Ptolémée d’Ascalon examinait, dans un livre spécial, la recension aristarchéenne de l’Odyssée. Sur le sujet d’Homère comme sur tant d’autres, Cratès et les grammairiens de Pergame avaient pris parti contre l’école d’Aristarque. Engagée par les deux maîtres, la guerre se continua après leur mort, par leurs disciples, à coups de pamphlets et d’épigrammes. Athénée nous a conservé une de ces épigrammes, dont il serait impossible de faire passer en français la bile âcre et pédante[1]. Du milieu de cette bruyante mêlée, le nom d’Aristarque s’élève glorieusement avec le surnom d’Homérique. Rome surnommait l’Africain ou l’Asiatique ses généraux vainqueurs d’Annibal ou d’Antiochus. La Grèce, qui ne connut cet insolent usage qu’à l’époque où elle ne savait plus conquérir, trop heureuse si elle pouvait se défendre,
- ↑ Athénée, liv. v, p. 222 ; Anthologie, Appendix, no 35.