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l’élève de son seul précepteur. Tout, autour de lui, concourt à le former, souvent à le corrompre. C’est du moins une dignité qui s’ajoute à la condition des savans que ce partage de la vie intime du palais. Le musicien Stratonicus parlait de son art devant un Ptolémée ; le roi crut pouvoir jeter son mot dans la discussion, il le fit impoliment : « Prince, lui dit alors Stratonicus, autre chose est un sceptre, autre chose une lyre » (mot à mot, un plectre, un archet ; il jouait sur l’assonnance des deux substantifs). C’est ainsi que Boileau osait soutenir contre toute la cour son droit de déclarer mauvais des vers que le roi trouvait bons[1]. On aime à rencontrer si loin de nous ces traits d’une familiarité qui honore également le prince et son favori. Combien est plus honorable encore la confiance des princes alexandrins envers le savant hôte du Musée qu’ils choisissaient pour maître de leurs enfans !

Malgré ses doubles fonctions de professeur et de bibliothécaire, Aristarque fut un philologue laborieux et fécond. Un témoignage porte à huit cents le nombre de ses livres, et ce nombre, si étrange qu’il paraisse, peut n’être pas exagéré ; c’est précisément celui des livres attribués à Callimaque ; c’est, avec moins de variété, la même abondance qui nous étonne dans ce que les anciens racontent d’auteurs plus originaux, d’Aristote par exemple, de Théophraste et de Chrysippe. Du reste, les livres alors n’étaient pas toujours ce que nous appellerions aujourd’hui un volume. Les subdivisions d’un grand ouvrage comptaient pour autant de livres. Parmi ceux d’Aristarque, on ne peut citer aujourd’hui, par leurs titres, que ses Réponses à Comanus, à Philetas, à Xénon, qui étaient sans doute des traités polémiques, et son commentaire sur l’Iliade et l’Odyssée. Il avait commenté aussi Hésiode, Archiloque, Pindare, Alcée, Anacréon, Aristophane le comique, Eschyle, Sophocle, Ion et Aratus, d’autres encore. Outre ces recueils, il avait sans doute écrit quelques traités de critique comparative, puisque Quintilien lui attribue surtout, ainsi qu’à son maître Aristophane, la composition de ces célèbres Canons où étaient rangés les poètes classiques de la Grèce. L’exposé des motifs qui précédait ces listes est un morceau à jamais regrettable pour les amateurs de curiosités littéraires. Eschyle, Sophocle et Euripide, jugés par un tel maître en présence de tous leurs chefs-d’œuvre ; Aristophane, rapproché de Ménandre et de Philémon ; Démosthène, d’Hypéride ; Homère,

  1. Athénée, VIII, p. 350 (d’après l’historien Capiton d’Alexandrie). Comparez, dans le Bolœana, § IX, l’anecdote qu’on a quelquefois défigurée en l’abrégeant.