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aussi en mourir. Il était écrit, dit-il en pleurant, que le roi ne mettrait pas le pied à mon château. Ni déjeuner, ni chasse, ni médianoche ! Et je me suis marié !… ajoutait plus bas Bouret.

Devinez-vous comment finit cette superbe existence ? Par un coup de pistolet. Bouret se brûla la cervelle. Qui peut dire que l’origine de sort désespoir ne date pas de son ambition d’être présenté au roi, et du jour funeste où il apprit que le roi lui rendrait sa visite ? Sa mort violente eut lieu en l’année 1778, quatre ans après celle de Louis XV, son débiteur et son idole. Il avait fini par être si pauvre et si oublié de ses amis, qu’il ne trouva pas, lui le prêteur des rois, cinquante louis à emprunter.

Où étaient donc ces gens de lettres, ces artistes qu’il avait tant fêtés autrefois ? où étaient aussi ces danseuses de l’Opéra, ces chanteuses de la Comédie Italienne, ces comédiennes de la Comédie Française, pour lesquelles il avait fait faire des cabinets de porcelaine et des boudoirs d’hermine ? ces divinités qui ornaient son olympe, cet olympe dont il était le Jupiter sous la plus persuasive de ses métamorphoses, éblouissante pluie d’or ? Oh ! ne les accusez pas encore ! Ceux-ci aussi bien que celles-là mouraient à l’hôpital quand Bouret mourait de misère. C’est leur plus bel éloge. L’homme de lettres, spirituel jusqu’au bout, se mettait alors au-dessus de l’ingratitude par l’impossibilité d’être reconnaissant.

On manque de blâme, quand on songe que cette belle fortune de Bouret s’est perdue dans une pensée de largesse et de dévouement. Bouret se ruinant pour une pêche et se brûlant la cervelle pour avoir trop aimé son roi est un héros à sa manière, un grand homme d’une façon particulière à un siècle, à une époque qui ne ressemble à aucune autre. Sans doute, s’il eût été économe, s’il avait eu des vertus prudentes, son petit-fils serait aujourd’hui président millionnaire d’une société de chemin de fer. Le bel avantage pour nous !

Bouret a eu son heure ; son nom éveille l’attention : je l’ai évoqué. Il vous aura peut-être fait sourire et penser un instant. N’est-ce rien ? Que de millions ne rapportent pas autant, sans parler du budget !

Je n’ai jamais traversé la forêt de Rougeaux sans me détourner de mon chemin pour aller, à travers bois, revoir ces ruines où un homme a tant dépensé d’or, d’espérance et de dévouement. Le XVIIIe siècle, si hardi, si frivole, si spirituel et si athée, vous y parle de sa plus charmante et de sa plus triste voix ; c’est un désenchantement adorable.

Il est à observer que toutes ces fortunes disproportionnées, qu’elles soient bien ou mal acquises, frappent presque toujours d’une maladie