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de Londres, avait prétendu, dans un livre sur les premières causes de la réforme, qu’il existait au XIVe et au XVe siècle, dans toute l’Italie, une association secrète se rattachant à la secte des albigeois ; que Dante, Pétrarque, Boccace, étaient affiliés à cette secte, et que leurs écrits étaient composés dans un style à double entente, dont lui, M Rosetti, venait de retrouver le secret. M. Schlegel ne voulut pas faire le sacrifice de la Divine Comédie et du Décaméron tels qu’il les avait compris jusque-là ; il s’en tint à l’interprétation vulgaire, et dans un article demi-sérieux, demi-plaisant, inséré dans cette Revue même[1] il fit justice de cette prétendue découverte ; après quoi, s’excusant d’avoir entretenu trop long-temps ses lecteurs des rêveries d’un cerveau malade, il les engageait à rafraîchir leur imagination et à reposer leurs yeux, comme lui-même allait le faire, en contemplant les dessins spirituels et presque aériens de l’aimable Flaxman.

À cette époque, par l’effet du temps, par le choix même de ses études nouvelles, la vie de M. Schlegel rentre dans le demi-jour, et l’ombre ira bientôt s’épaississant. Lors de sa rentrée en Allemagne, il avait dû passer quelques années d’une existence bien douce. Toutes ses ambitions étaient comblées. Distinctions littéraires, titres honorifiques, lettres de noblesse, rien ne lui manquait, et, ce qui devait plus légitimement flatter son orgueil, le temps avait consacré ses idées, et on se souvenait encore de celui qui les avait répandues. De critique révolutionnaire il était devenu, ainsi qu’il l’a dit lui-même, critique constitutionnel. Mais cette jouissance fut bientôt troublée : novateur hardi dans la première partie de sa carrière, M. Schlegel se vit dépassé et méconnu par la génération qui suivit. Il ne tint pas assez de compte des changemens que les années avaient dû apporter dans les esprits ; il ne voulut pas s’y associer. Comme ce Romain d’humeur chagrine, il se plaignait d’être jugé par des hommes qui n’étaient pas nés au temps de sa gloire. Il y a trois ans, il fit un appel au public français, et réimprima la plupart des ouvrages qu’il avait composés dans notre langue[2]. Le livre fut froidement accueilli ; l’auteur fut sensible à cette indifférence, et en exprima à plusieurs reprises son mécontentement. C’était encore une illusion détruite. Il menait à Bonn une vie de plus en plus retirée ; la plupart de ses amis et son frère étaient morts. Sa société se composait surtout des étrangers qui venaient le visiter. Il faisait un accueil obligeant, quoiqu’un peu fastueux, à tous ceux que recommandait

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 août 1836.
  2. Essais littéraires et historiques, par À.-W. Schlegel. — Bonn, 1842.