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peut voir là qu’une de ces méprises dans lesquelles les préoccupations systématiques entraînent les meilleurs esprits. Avant d’en venir au point contesté, M. Schlegel avait eu le temps de jeter sur la formation des langues une foule d’aperçus ingénieux. Il s’était attaché surtout à distinguer nettement les langues synthétiques et les langues analytiques : les unes, plus libres, plus variées dans leurs tours, parlant davantage à l’imagination ; les autres, plus assujéties à l’ordre logique, mais plus claires, plus d’accord avec les besoins actuels des esprits. Dans cet écrit très court et cependant si plein de choses, M. Schlegel pressentait déjà les résultats auxquels fut amené plus tard M. Fauriel par ses recherches sur l’épopée chevaleresque. Frappé de la fécondité des lyriques provençaux, il s’étonnait qu’ils fussent restés complètement étrangers à la poésie épique, et s’en étonnait si bien, que, sans avoir encore de preuves positives à fournir, il ne craignait pas d’affirmer le contraire. M. Fauriel alla plus loin, peut-être aussi alla-t-il trop loin, en rapportant aux Provençaux toutes les épopées chevaleresques. Plus tard, dans une suite d’articles insérés au Journal des Débats en 1833 et 1834, M. Schlegel revint sur cette question, et tenta de faire un partage plus équitable entre le nord et le midi. A moins que la publication des travaux inédits de M. Fauriel ne révèle de nouveaux documens, cette réserve paraît plus voisine de la vérité. Dans les articles des Débats, comme dans les Observations sur la littérature provençale, les lecteurs français purent apprécier, sans avoir à se défier des paradoxes de l’auteur, la clarté élégante de son style.


III.

Après la mort de Mme de Staël, s’ouvre une nouvelle période dans la vie de M. Schlegel. Le calme va succéder à l’agitation, le travail solitaire aux émotions de la lutte et aux distractions du monde. En 1818, le roi de Prusse réorganisait les universités ; il désira s’attacher M. Schlegel, qui accepta une chaire à Bonn. L’université de Bonn existait déjà depuis cinquante années ; mais, désertée pendant long-temps, elle fut fondée une seconde fois. Dès le début, elle jeta un vif éclat. Là se trouvèrent bientôt réunis, outre M. Schlegel., Niebuhr amenant avec lui de Rome M. Brandis, le savant interprète d’Aristote, M. Arndt, M. Welcker, M. Näke, M. Lassen. A l’exception de M. Nake et de M. Lassen, il ne paraît pas que M. Schlegel ait contracté de liaisons intimes dans cette société d’hommes illustres