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depuis, ne méritait pas de survivre aux circonstances qui l’ont fait naître.

Après les évènemens de 1815, M. Schlegel jouissait de la réalisation de ses vœux et du libre accès de la France, quand la mort enleva Mme de Staël. Il en conçut une affliction profonde ; les regrets qu’il montra le reste de ses jours témoignent d’une sensibilité qui fut trop souvent dominée par d’autres impressions et qu’on eût pu ne pas soupçonner. Peu de temps après ce coup douloureux, M. Schlegel écrivait à l’un des conservateurs de la Bibliothèque royale, M. Langlès : « Foudroyé par la perte immense que j’ai faite, quelque prévue qu’elle fût, je suis incapable de voir personne ; autrement, j’aurais assurément été chez vous, pour vous témoigner ma reconnaissance de toutes vos bontés, et surtout de l’intérêt que vous avez pris à la maladie de mon illustre et immortelle protectrice. » Cette reconnaissance était juste ; c’est encore le souvenir de Mme de Staël qui protège le plus efficacement M. Schlegel contre les préventions dont il a été l’objet : il avait trop abusé de la critique pour n’avoir pas à en souffrir à son tour. Ce n’est pas qu’en France elle ait été très redoutable ; elle était à cette époque bien désarmée, et ne savait guère que crier au sacrilège. Il n’y eut pas d’ailleurs beaucoup d’attaques en forme, à part le persiflage assez inoffensif de Hoffmann et les réfutations plus sérieuses, mais aussi peu concluantes, de Dussault. Le mauvais vouloir s’échappa surtout en épigrammes oubliées aujourd’hui ; mais il s’attacha dès-lors au nom de M. Schlegel une impopularité que le succès croissant de ses idées ne put dissiper complètement. On ne voulut pas lui tenir compte de l’aveuglement contre lequel il eut à lutter, et qui fut pour beaucoup dans la violence de ses attaques. Il était de mode alors de repousser comme barbare tout ce qui était en dehors du goût modeste qu’on croyait être la loi suprême. L’Allemagne surtout était l’objet de la défiance générale ; beaucoup de gens se demandaient encore, dans la sincérité de leur ame, si un Allemand pouvait avoir de l’esprit. À ces préventions, M. Schlegel eut le tort d’en opposer d’autres ; c’est à lui néanmoins qu’est dû l’éclectisme littéraire à l’aide duquel on put faire justice de ses exagérations. Ce fut lui qui arracha les concessions sans lesquelles la cause était compromise, qui, en nous amenant à une admiration raisonnée, mit désormais nos chefs-d’œuvre à l’abri de toutes les attaques. Le goût national sortit victorieux de la lutte, mais à la condition de s’éclairer et de s’agrandir. Cette influence s’exerça sur ceux-là même qui étaient le moins préparés à la recevoir. L’abbé Geoffroy, dans les derniers feuilletons qu’il eut l’occasion