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ses filatures de coton, mais simplement un gros bourg, hanté par des mamelouks fugitifs qui s’y tenaient embusqués pour piller les passans. Le chef de la caravane flottante fut dépouillé par eux de tout l’argent qu’il portait, et, après avoir payé ce tribut aux voleurs, la barque reprit sa course, sans s’arrêter, jusqu’à Manfalout, la ville la plus méridionale de l’Égypte moyenne. De là, les voyageurs gagnèrent Beny-Ady, canal assez important, qui communique avec le canal de Joseph ou Calideh-Menhi. Les marchands du Dârfour étaient campés sur le bord, recousant leurs outres, les remplissant d’eau, et faisant tous leurs préparatifs de départ.

C’est un instant solennel que celui où la caravane se met en marche pour de longs et aventureux voyages à travers les solitudes de l’Afrique. Autour des chameaux patiemment couchés pour recevoir leurs charges et lents à se lever, autour des tentes que l’on plie, des ballots que l’on range, des armes que l’on accroche à la selle, s’agitent les esclaves noirs sous l’œil des marchands. Peu à peu les bêtes de somme se rangent en file ; les chevaux bondissent en avant, les chameliers s’étendent sur les flancs de la colonne. Le sable vole au loin ; puis bientôt la troupe se déroule sur la plaine unie, s’allonge, s’enfonce dans les sables du désert, et s’y perd comme la dernière voile du navire s’abaisse à l’horizon sous la vague étincelante. Cinq jours après son départ, la caravane touchait à Khardjeh, le plus considérable des villages de l’oasis de Thèbes. Des monumens si remarquables d’El-Khardjeh, des inscriptions grecques tracées sur un des pylones, de sa nécropole couverte en plusieurs endroits de caractères coptes et arabes mêlés de croix, le jeune cheikh ne dit pas un mot. Qu’importe à un musulman ce qui reste des siècles antérieurs à l’islam, ce qui ne touche pas au souvenir des patriarches ? En véritable Arabe, Mohammed ne s’occupe que des dattiers si verts à cet endroit et si desséchés près du village à moitié détruit d’Abyrys. Cet arbre au port élancé semble saluer de loin le voyageur et l’inviter au repos ; il lui prodigue son ombre et ses fruits abondans, et lui montre la source cachée sous ses racines. A mesure que la troupe s’éloigne du Nil en tirant vers le sud-ouest, le désert devient plus aride, et le dattier disparaît pour faire place aux tamarins, aux buissons, enfin aux plantes épineuses, puis les montagnes se montrent : « Pays désolé, dit Mohammed, qui n’a plus d’autres habitans que les gazelles et les caravanes qui le traversent ! »

Déjà les marchands avaient fait vingt journées de marche, sans