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l’une au bas-relief et l’autre au groupe. Le bas-relief n’a pas de limites précises ; on peut supposer l’action s’étendant indéfiniment en-deçà et au-delà. Aussi les anciens représentaient-ils surtout sous cette forme des sujets qui n’avaient, à vrai dire, ni commencement ni fin, comme des danses, des combats, des sacrifices. De même l’épopée n’offre pas un tout nettement circonscrit ; les évènemens se succèdent sans lien rigoureux, du moins sans but arrêté ; le poète raconte pour raconter, et les personnages, tenus dans l’ombre, ne nous apparaissent guère que de profil. Il en est tout autrement dans le groupe et dans la tragédie. Là les yeux, au lieu d’errer sur une série de faits divers, sont fixés sur un point unique, que le poète doit faire ressortir aussi clairement que le sculpteur. L’un et l’autre sont tenus de donner la même perfection à toutes les parties de leur œuvre. Le groupe est fait pour être envisagé sous tous les aspects, et le poète tragique ne peut pas même s’autoriser de l’exemple d’Homère pour sommeiller quelquefois. Passant de la théorie à l’histoire, M. Schlegel rechercha les analogies qu’offraient le développement de la poésie et celui de la sculpture. Il rapprocha des tragiques grecs les trois statuaires les plus fameux de l’antiquité, Phidias, Lysippe, Polyclète, et montra successivement en eux la grandeur désordonnée d’Eschyle, la perfection de Sophocle et les défauts séduisans d’Euripide.

On le voit, M. Schlegel n’était pas injuste envers le théâtre grec. Il sentait dignement ces beautés d’une simplicité si pure, d’une vérité si haute, si universelle, et ses émotions sympathiques passaient dans l’ame de ses auditeurs ; mais en même temps il pensait que, la poésie étant la vive expression de ce qu’il y a de plus intime dans notre être, il est naturel qu’elle revête, suivant les différentes époques, une forme particulière aussi bien que la peinture, l’architecture, la musique. La religion chrétienne, en révélant à l’homme le néant de cette vie, en remplissant son ame de désirs que rien ici-bas ne peut satisfaire, a donné une direction nouvelle à toutes nos forces morales ; elle a éveillé en nous des sentimens inconnus, ou épuré ceux qui n’avaient pu s’élever au-delà d’un sensualisme poétique. Ce perfectionnement moral, sans exclure la violence des passions, produisit de sublimes inconséquences, qu’il fallait tenter de peindre au moins, si l’on ne pouvait les expliquer ; une conscience plus claire de la responsabilité humaine, une analyse plus attentive et plus profonde du cœur, mirent davantage en lumière les différences personnelles qui se détachent sur le fond commun de l’humanité. D’autre part, les luttes et les complications des sociétés modernes avaient fait une plus