sentimens les plus élevés de l’humanité, ce sont surtout les faiblesses du cœur qu’Euripide prend plaisir à peindre ; souvent même il abuse de la sensibilité de ses auditeurs. Tout semble abaissé à dessein, afin de complaire plus sûrement à des juges moins sévères que l’admiration fatigue, et qui veulent se reposer dans des émotions plus douces.
Mais entre Eschyle et Euripide il y a la place de Sophocle. A égale distance de l’un et de l’autre, il occupe dans l’histoire de l’art ce point culminant au-delà duquel il n’y a plus qu’à descendre. M. Schlegel s’est particulièrement complu dans ce portrait. C’est qu’en effet beauté, gloire, génie, bonheur, tout s’est réuni pour composer en Sophocle l’ensemble le plus harmonieux que l’imagination puisse rêver, et les inventions avec lesquelles les historiens et les poètes ont voilé ses derniers momens ne permettent pas même de s’apitoyer sur sa fin. Les faveurs dont il fut comblé ne furent pas perdues pour l’art. Ses conceptions sont plus profondes et non moins hardies que celles d’Eschyle ; l’harmonie dont il a su empreindre toutes ses œuvres peut seule en dissimuler la grandeur. Il a puisé dans la noblesse de son ame l’élévation morale à laquelle il subordonne les passions de ses héros. Nul poète peut-être n’a eu au même degré que lui le sentiment de la dignité humaine ; aussi n’a-t-il pas besoin d’appeler à son aide un monde surnaturel ; c’est presque toujours dans le cercle de l’humanité que l’action s’accomplit, mais de l’humanité représentée sous ses traits les plus généraux. Le despotisme du destin laisse à ceux même qu’il opprime leur énergie et leur liberté. Le chœur mêlé à tous les évènemens représente bien la conscience publique, souvent timide et confuse. L’action se développe sans vide et sans complication pénible. On ne rencontre pas, dans le cours de la pièce, de ces maximes équivoques qui, malgré une sanction tardive, peuvent faire douter des intentions de l’auteur. L’impression est constamment morale et religieuse, et la poésie, prodiguant toutes ses richesses, met le dernier sceau à cette œuvre, expression la plus complète et la plus haute de l’art tragique au siècle de Périclès.
Tous les arts, dans la Grèce, se prêtaient un mutuel secours ; tous servaient à l’ornement de ces fêtes splendides dont, après tant de siècles, le souvenir est encore tout-puissant sur l’imagination. M. Schlegel essaya de recomposer quelque chose de cet assemblage en cherchant les rapports secrets qui unissent les différens arts, comme l’avait déjà tenté Lessing dans son Laocoon. Ce fut surtout à la statuaire qu’il demanda des points de comparaison avec la poésie. Pour rendre sensible la différence qui distingue la tragédie de l’épopée, il les compare