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récit et les détails poétiques sur lesquels un ami ne peut s’étendre et qu’un père ne peut écouter. M. Schlegel eût été libre aussi de reprocher à Thésée des motifs de son absence, qui le rendent au retour moins digne d’intérêt, en faisant observer toutefois que c’est pour Phèdre une excuse de plus, et que selon toute probabilité, dans la première pièce qu’Euripide composa sous le titre d'Hippolyte, comme dans la tragédie de Racine, Thésée avait été retenu par sa complaisance pour les amours de Pirithoüs. Au lieu de cela, M. Schlegel a pris deux poids et deux mesures, opposant sans cesse les beautés d’Euripide aux défauts inévitables de Racine, reprochant au poète français toutes ses inventions, quelquefois même ses emprunts, et de ce mélange calculé d’inexactitude et de rigueur, d’émotion et de logique, d’enthousiasme et de sévérité, il est sorti un pamphlet qui fera toujours honneur à l’esprit de l’auteur, mais qui peut laisser quelques doutes sur sa bonne foi.

Là cependant ne se bornèrent pas les témérités de M. Schlegel. Le Parallèle des deux Phèdres ne fut que le prélude du Cours de littérature dramatique. En quittant la France, M. Schlegel était allé à Vienne avec Mme de Staël ; il y reçut un accueil brillant, et mit à profit son séjour en cette ville pour reprendre son enseignement interrompu. Il réunit et exposa, devant un nombreux auditoire, ses idées sur l’art théâtral. Ce sont ces leçons qui, traduites un peu plus tard par Mme Necker de Saussure (1814), se répandirent en France et y causèrent un grand scandale. M. Schlegel s’attaquait du même coup à toutes nos gloires. Corneille est le moins maltraité. L’auteur reconnaît qu’il s’était annoncé d’une manière brillante par le Cid, et, s’il était resté fidèle à cette veine poétique d’honneur et de loyauté chevaleresque, s’il avait élargi encore son horizon sans s’inquiéter tardivement d’Aristote, la tragédie, unissant la liberté et la variété du drame romantique à l’éclat du style, eût vraiment déployé toute la magie de ses moyens ; mais pourquoi Corneille fit-il Horace et Cinna ? M. Schlegel se montre plus sévère encore pour Racine. Ce que le critique cherche avant tout, c’est l’action ; le charme de la poésie, qu’il ne peut nier, lui semble un mérite secondaire qui ne rachète pas la froideur des expositions et des longs récits, les invraisemblances de la mise en scène, et surtout le contraste des sujets avec les sentimens et le langage. Racine était pénétré de l’antiquité, mais il la voyait à travers son imagination et son cœur. Il aurait manqué de vérité et de naturel s’il eût voulu, prenant pour guide une froide érudition, s’affranchir des convenances qui étaient en même temps des délicatesses de sentiment,