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l’invention du poète. Virgile compte parmi les alliés de Turnus un Virbius, fruit des amours de cette princesse :

Ibat et Hippolyti protes pulcherrima bello
Virbius, insignem quem mater Aricia misit,
Eductum Egeriae lucis.

Tout en partageant l’admiration de M. Schlegel pour l’Hippolyte grec, nous ne pouvons accorder que tout l’intérêt se concentre sur lui ; que Phèdre ne soit, comme le dit le critique, qu’un mal nécessaire. La jouissance que fait éprouver le personnage d’Hippolyte est plus esthétique que dramatique ; les yeux y ont plus de part que le cœur. Si loin que soit la Phèdre grecque de la Phèdre française, c’est d’elle surtout que naît l’émotion, et il devait déjà en être ainsi chez les Grecs : il était plus facile de proscrire la peinture de l’amour que de n’en pas être charmé en la voyant. Dans Euripide, l’apparition de Phèdre est courte. En entrant sur la scène, elle prie ses esclaves de la soutenir, de délier le nœud qui retient sa chevelure. Sa douleur se décèle par le désordre de ses idées ; tantôt elle voudrait aller au bord d’une claire fontaine puiser une eau pure, tantôt elle voudrait se reposer à l’ombre des peupliers, couchée sur une verte prairie. Un instant après, elle demande à être conduite sur la montagne pour s’élancer à la poursuite des cerfs ; elle brûle de lancer le trait thessalien ou de dompter des coursiers vénètes. Sa nourrice essaie en vain de la calmer, et la presse de lui découvrir la cause de son mal. Contrainte par ces instances, Phèdre prépare l’aveu qu’elle va faire en rappelant les égaremens de sa mère et la triste destinée de sa sœur : là se bornent les ressemblances des deux poètes. La passion de Phèdre dans Euripide ne se trahit que par son abattement ; il n’y a pas dans son amour de ces révolutions soudaines qui naissent de la marche des évènemens ou des mouvemens même du cœur ; elle n’a pas d’espérances ni presque de désirs. Dès que son secret est connu d’Hippolyte par l’imprudence de sa nourrice, son parti est pris, elle va mourir ; mais, dans sa perte, elle entraînera celui qui l’a causée. Ce n’est pas même la vengeance qui la fait agir ; elle cède uniquement à la crainte du déshonneur. Que la Phèdre de Racine est bien différente ! En l’absence de Thésée se produisent les premiers symptômes d’une passion longtemps contenue. C’est seulement lorsqu’elle croit son époux mort que Phèdre ose s’exposer à la vue d’Hippolyte. Elle va implorer sa pitié pour son fils ; mais, forcée d’excuser ses rigueurs passées, elle laisse bientôt percer un sentiment contraire. Par ces ménagemens,