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AUX POÈTES DONT J’AI TRADUIT LES CHANTS.

« Recevez l’offrande de ces fleurs, hommes sacrés ; comme à des dieux je vous fais hommage de vos propres dons. Vivre avec vous et avec nos ancêtres allemands, c’est là ce qui seul peut soutenir mon courage. Romains à demi, vous descendez aussi de la race germanique. Laissez-moi donc vous saluer de ces paroles allemandes et vous prendre à vos belles contrées pour vous ramener chez vous vers le Nord, aux rivages de l’harmonie. »


Dans ces vers respire un patriotisme qui eût dû arrêter M. Immermann au moment où il adressa à M. Schlegel cette brusque apostrophe : « Tu as, Guillaume, déchiré ta robe allemande en Angleterre, puis en Italie et dans les sombres contrées de Brahma. » Est-ce donc trahir ou renier son pays que de l’éclairer et de l’enrichir ?

Ce fut au milieu de ces travaux que M. Schlegel rencontra Mme de Staël. Elle fut frappée de cet esprit si abondant en idées, de cette érudition si bien éclairée par une critique ingénieuse. Elle n’avait connu rien de pareil en France ; le charme de la nouveauté, un certain goût pour ce qui ne ressemblait pas à ce qu’elle entendait tous les jours, lui inspirèrent une extrême bienveillance pour M. Schlegel. Elle savait mieux louer que personne ; ses éloges n’étaient autres que des impressions sympathiques ; elle se sentait reconnaissante pour qui animait son imagination et renouvelait sa pensée. M. Schlegel éprouva un véritable bonheur à se sentir ainsi compris et apprécié. Il ne pouvait plus se passer d’une société si douce. Il renonça à la situation qu’il s’était faite à Berlin pour se charger de l’éducation des enfans de Mme de Staël, et partit avec elle en 1804, lorsqu’elle fut rappelée en Suisse par la mort de M. Necker.

Schlegel a passé ainsi douze ans auprès d’elle, mêlé à la société spirituelle et distinguée dont elle était le centre, y exerçant par son savoir et son esprit plus d’influence qu’il n’en recevait, et surtout qu’il n’en voulait recevoir ; continuant sa vie laborieuse de professeur au milieu des distractions mondaines, accueillant difficilement les opinions qui n’étaient pas les siennes, inquiet et susceptible dans les relations habituelles, comparant quelquefois sa situation à celle qu’il eût pu occuper en Allemagne, et pourtant invariablement attaché à Mme de Staël, et dédommagé par son amitié attentive de tout ce qui pouvait lui déplaire dans la société où il vivait. Ce n’était pas encore là tout ce qu’eût demandé M. Schlegel ; d’autres prétentions percèrent quelquefois malgré lui, Il en fut repris avec une douceur et une fermeté qui le découragèrent ; il y avait d’ailleurs dans l’amitié de Mme de