Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour conserver intacte une renommée littéraire ; il faut que la reconnaissance soit renouvelée par le plaisir[1].

La poésie servit aussi quelquefois les rancunes de M. Schlegel. Kotzebue, écrivain vulgaire, avait gagné la faveur du public en excitant chez les spectateurs une sensibilité factice par des moyens que l’art désavoue. Ses pièces étaient jouées sur tous les théâtres. La France à son tour les empruntait à l’Allemagne. Ses succès l’enhardirent au point de s’attaquer à la société de Weimar. M. Schlegel se chargea de lui répondre. Kotzebue revenait alors d’un exil où il avait été envoyé par méprise ; à son arrivée, il fut accueilli par une satire en vers que l’auteur appela avec une emphase comique Arc-de-Triomphe en l’honneur de Kotzebue. Le reste répond à ce début ; c’est un ensemble de sonnets et d’épigrammes, où se fait sentir l’abus de l’esprit et où règne une plaisanterie plus acérée que délicate. C’est par là que pèche en général M. Schlegel, quand il s’abandonne à son humeur railleuse ; il lui arrive souvent de passer la mesure. De tous les poètes comiques ou satiriques, c’est à Aristophane qu’il donne la préférence, et il s’inspire volontiers de cette verve inexorable qui, de nos jours, a besoin d’être vue à distance pour nous paraître le bon goût. Il dut cependant conserver de cette querelle un souvenir satisfaisant. Kotzebue, dans la comédie de l’Ane hyperboréen, avait grossièrement insulté Mme de Staël. Par une heureuse fortune, M. Schlegel se trouvait l’avoir vengée avant de la connaître.

Vers la même époque, des sentimens bien différens inspirèrent mieux M. Schlegel. En 1799, un de ses frères mourut dans les Indes au service de la compagnie anglaise ; }il consacra à son souvenir l’Épître de Néoptolème à Dioclès. Il fut surtout sensible à la mort d’une jeune fille, Augusta Boehmer, qui lui était unie par des liens de famille. Une suite de sonnets, remplis des mêmes impressions, montrent qu’il prit plaisir à nourrir sa douleur. Il avait choisi Novalis pour confident de ses regrets, et bientôt après Novalis lui-même était mort, laissant sa tâche inachevée. En lui, M. Schlegel perdait un ami, et l’école romantique sa plus belle espérance. Il fut un de ces rois dont Goethe signala quelque part la puissance éphémère. Lui du moins n’en vit pas le déclin. Sa perte fut vivement sentie par la jeunesse qui s’associait à ses pensées d’avenir. Les journaux du temps parlent de pèlerinages

  1. Les poésies de M. Schlegel furent recueillies pour la première fois en 1800 à Tubingue, et réimprimées en 1811 à Heidelberg. Il s’en fit en outre plusieurs contrefaçons.